Article publié dans Libération 9 février 2015
S’agissant de l’école de la République, il est beaucoup question, ces dernières semaines, à coup de métaphores guerrières un tantinet inquiétantes, de « professeurs sur le front », ou « en première ligne », surtout quand ils travaillent dans des établissements scolaires qualifiés de « sensibles » ou de « difficiles ».
Ce qui n’est guère souligné, c’est que sur le dit « front », si « front » il y a, ce sont majoritairement des femmes qui y sont.
Les chiffres l’indiquent clairement : les femmes représentent plus de 70% des personnels de l’Education nationale (82% pour l’école maternelle et élémentaire, 60 % des professeurs du second degré, 71 % des personnels d’éducation, 90% des médecins scolaires, quasi-totalité des personnels administratifs et sociaux…)
Il n’y a que dans les échelons élevés de la hiérarchie que cette proportion s’inverse : par exemple l’inspection générale comprend à peine 30 % de femmes, et ce n’est pas, on en conviendra par manque de vivier ! Quand est relevé que ce sont plutôt les enseignants débutants qui sont nommés dans les établissements difficiles, ce qui est en effet hors de tout bon sens (mais les plus anciens rechignent à y aller ou à y rester), il faut préciser qu’il s’agit souvent de jeunes femmes.
Les raisons de cette féminisation sont bien connues : « conciliation vie familiale et professionnelle » dont en effet les femmes se soucient plus que les hommes, salaires relativement peu élevés, perte de prestige du métier….
La gente masculine a sinon déserté du moins s’est éloigné de l’institution scolaire, chaque décennie un peu plus et c’est regrettable. Il faut développer la mixité des personnels scolaires. L’enjeu n’est pas dans l’incarnation d’une figure autoritaire que les hommes sauraient mieux assumer que les femmes. Non, l’enjeu est d’affirmer une mixité de la prise en charge institutionnelle de l’éducation, montrer que celle-ci n’est pas, ne doit pas être le seul domaine et la seule responsabilité des femmes, surtout quand tel est déjà le cas dans nombre de familles, et pas seulement les familles monoparentales (rappelons que cette appellation neutre désigne une réalité qui ne l’est pas, puisque dans la plupart des cas le parent en charge des enfants est la mère.)
On souligne abondamment les difficultés rencontrées dans certaines classes pour enseigner tel ou tel auteur ou telle ou telle période historique, au nom d’un interdit religieux ou s’affirmant tel, en l’occurrence islamique. A été ressorti des tiroirs le rapport dit Obin de l’inspection générale, et sont particulièrement cités les passages relatifs à ces difficultés.
Mais bizarrement il est fait silence sur un autre aspect important de ce rapport (et d’autres études, livres, actions, faits divers ont suivi qui allaient dans le même sens) à savoir la situation vécue par des filles dans certains collèges, lycées et quartiers, dans un mélange d’injonctions religieuses, identitaires et virilistes : surveillance par les grands frères, quasi interdits vestimentaires parce que trop sexués comme la jupe ou le jean serré, mixité dénoncée dans des lieux forcément mixtes comme les cinémas ou les centres sociaux, affirmation des inégalités de sexe, confusion entre masculinité et machisme…
Face à des adolescents dont certains sont élevés dans une religion qui prône encore la séparation des sexes dans bien des domaines et qui ne considère pas l’égalité entre les filles et les garçons comme une priorité de son message, il est indispensable d’augmenter la mixité des personnels présents dans les établissements scolaires, quelle que soit la fonction exercée.
Il est tout aussi indispensable de développer l’éducation à l’égalité, qui passe par la mise en cause des stéréotypes, par l’affirmation de la pluralité des figures du masculin et du féminin, des manières d’être fille et garçon, femme et homme. Or il faut se souvenir de la bronca qui a eu raison des ABCD de l’égalité mis en œuvre au cours de la dernière année scolaire, bronca qui a vu se nouer une alliance entre des personnes et des groupes se revendiquant les uns de la religion musulmane, d’autres du catholicisme, d’autres de l’extrême droite et de la droite, tandis que des intellectuels médiatiques tels Alain Finkielkraut ou Michel Onfray expliquaient l’un que ces ABCD visaient à « remodeler l’humanité », l’autre qu’ils empêchaient d’apprendre à « lire, à écrire et à penser ». Rien que ça.
Les assassinats de début janvier ont suscité un rappel de la nécessaire laïcité et des valeurs républicaines. La mixité, l’égalité filles-garçons en sont des composantes essentielles. Il est urgent de les réaffirmer au sein de l’institution scolaire.
Cela n’empêchera sans doute pas certains de confondre maniement de la kalachnikov avec la virilité, mais on peut espérer contribuer ainsi à en dissuader beaucoup.
Article publié dans Libération 9 février 2015