Première remarque : on a bien compris que le mot d’ordre dans les hautes sphères du parti socialiste était : tout sauf Ségolène. On a compris aussi que tous les moyens allaient être utilisés pour la liquider et que tous les coups étaient permis (d’ailleurs, cela ne fait que confirmer ce que l’on avait compris dès le 6 mai au soir, comme je l’ai indiqué dans un texte précédent de ce bloc-notes.)
On conçoit dès lors que Ségolène Royal n’ait pas eu envie d’assister, au conseil national du PS, à son lynchage programmé. Je pense néanmoins qu’elle aurait dû participer à la séance, même pénible, justement parce qu’elle était pénible et qu’elle devait se prouver à elle-même qu’elle était capable d’affronter un tribunal et de puiser dans cet affrontement des forces et de l’énergie.
La vie politique n’est pas plus que la révolution un dîner de gala, comme disait l’autre (Mao).
Je me permets cependant de constater que les apparatchiks socialistes ont été beaucoup moins sévères à l’égard d’un Lionel Jospin qui, en 2002, d’une part n’a pas fait accéder la gauche au second tour de l’élection présidentielle, d’autre part ne s’est pas battu ensuite pour les élections législatives qu’à l’égard de Ségolène Royal qui, elle, était présente au second tour de la présidentielle et s’est investie dans les législatives. Deux poids, deux mesures, l’appareil du parti préférant les perdants qui s’évanouissent dans la nature à ceux qui continuent à se battre. C’est que l’un est moins dangereux que l’autre. C’est aussi que l’un est un homme, l’autre une femme, donnée qui, bien évidemment, change la perception et les comportements.
Quoi qu’il en soit, Ségolène Royal ne manque pas de courage, courage qu’elle a montré aussi au long de sa campagne, appréciation qui ne vaut pas approbation de tout ce qu’elle dit ou fait.
Deuxième remarque qui porte aussi sur la différence de traitement homme/femme.
J’ignore si, comme certains le prétendent, Ségolène Royal a décidé de se présenter à l’investiture socialiste pour l’élection présidentielle afin de se venger de son compagnon François Hollande qui la trompait. Et au fond peu m’importe et qu’importe.
J’observe cependant que cette hypothèse suscite nombre de commentaires négatifs et de railleries, (personne n’envisageant d’ailleurs que Hollande pouvait la tromper pour la punir de songer à être candidate) ou l’hypothèse selon laquelle Nicolas Sarkozy aurait souhaité devenir Président de la République pour reconquérir sa femme Cécilia. Evidemment dans le premier cas, l’hypothèse est immédiatement validée, jugée crédible et explicative, dans le second, non. C’est qu’un homme ne peut avoir des raisons aussi futiles, n’est-ce pas, comme si, dans la carrière et les ambitions des hommes politiques, le sexe, l’amour, le désir, la vengeance n’occupaient aucune place.
Ne connaissant ni Royal ni Hollande, ce qui m’intéresse n’est pas leur vie personnelle mais la manière dont elle est présentée et commentée.
Troisième remarque : l’annonce par Ségolène Royal de sa rupture avec Hollande relève, nous dit-on, de la peopolisation de la vie politique, et signe le mélange des sphères publique et privée. En effet cet épisode mêle les deux sphères. Mais il les mêle parce qu’elles l’étaient déjà, mêlées, à cause de cette rivalité politique inédite au sein d’un couple. Une situation jusqu’alors inédite parce que la très grande majorité des hommes politiques ont une femme ou une compagne qui ne joue pas dans cette cour-là, idem pour les femmes politiques qui sont soit sans mari soit, quand elles en ont un, qui ne fait pas (ou rarement) partie de l’univers politique
Tant que sphère publique et sphère privée étaient sexuées (homme=public/femme=privé), le problème n’existait pas.
Mais à partir du moment où ce qui était assigné à résidence dans le privé sort du bois, se met sur la scène et en scène, de surcroît dans un rapport concurrentiel, soit la femme (épouse, amante, compagne, concubine…), c’est-à-dire la condition même du fonctionnement traditionnel de l’homme politique et même de son existence, c’est l’organisation du monde politique qui vole en éclat.
Avide et cumulateur ( il n’y a qu’à voir le contentement qui règne à droite comme à gauche de la levée par Nicolas Sarkozy de l’interdiction du cumul des mandats), détestant le partage du pouvoir et tolérant mal la concurrence, l’homme politique traditionnel a eu bien du mal à accepter l’entrée des femmes dans la sphère politique, (je ne désigne pas ainsi la scène militante car là les femmes évidemment ont toujours eu un rôle), c’est-à-dire celle où il y a des places et des postes à occuper et qui peuvent rapporter argent, pouvoir, puissance, privilèges, notorièté, jouissance etc. Mais qu’elles, ou que l’une d’entre elles, ose se lancer à la conquête de la présidence de la République, soit la place du chef de l’Etat, jusqu’alors réserver par nature à la gente masculine, dans une sorte de loi salique au sein de la République, voila qui est encore de l’ordre de la transgression.
Un changement pourtant est en cours, il se passe aujourd’hui sous nos yeux, Ségolène Royal l’a initié et le porte depuis qu’elle a osé se présenter à l’investiture socialiste (alors que son compagnon en rêvait aussi) puis à l’élection présidentielle. C’est aussi ce qu’elle est en train de payer. La suite dira le montant exact du prix.