Un flot de réfugiés tente de se répandre hors des frontières du pays martyrisé. Où vont-ils? Qui se chargera d’eux? … Des trains entiers pleins de gens qui se croyaient en sécurité sont obligés de faire demi-tour. Le pays voisin ne veut pas d’eux. Il se dit : “ils vont nous porter malheur! Ils vont nous affamer!””Partez! Allez-vous-en!” Alors on les chasse comme de mauvais esprits. ” Cherchez un autre asile! Pas chez nous! Votre souffle empeste!”
Combien de larmes ont coulé aux stations frontalières! Combien de cris ont été poussés par des enfants, des hommes, des femmes! Un concert de hurlements, une symphonie de la souffrance! Certains se jetaient du train : plutôt être broyés que de revenir au pays! Les douaniers montraient de la compréhension pour ces actes désespérés qui contribuaient pourtant à perturber le trafic…”Mais que reste-t-il à ces pauvres gens?” se disaient-ils avec douceur- dans la mesure, bien entendu, où le règlement les autorisait à parler sans brutalité.
D’autres avaient plus de chance et parvenaient à recouvrer la liberté car des gens aimables leur venaient en aide. un certain nombre d’entre eux purent, par exemple, faire halte à Zurich, quelques semaines, quelques mois au maximum. Mais c’était suffisant pour mettre de l’ordre dans ce qui était le plus urgent : l’obtention d’un visa et l’achat d’un billet de bateau pour traverser la mer. Car à quoi bon s’entêter à vouloir rester en Europe?
Pour ceux qui avaient choisi Vienne, cette ville avait signifié l’Europe et, à la rigueur, il restait encore Salzbourg et Paris. mais désormais ils allaient la mine défaite, disant : -l’Europe n’existe plus…
Klaus Mann, Titre Le Volcan, sous titre : Un roman de l’émigration allemande 1933-1939.
Publié en 1939 (Republié en 1993, Les cahiers rouges, Grasset)