UNIVERS-ELLES
Il y a un an, à l’occasion du 8 mars 2010, la célébration des 40 ans du mouvement de libération des femmes commençait. Il n’était pas écrit d’avance que les 40 ans du MLF serait objet et sujet d’un anniversaire. A-t-on fêté les 10 ans, les 20 ans, les 30 ans ? Non, tandis qu’à chaque décennie revenait la célébration de mai 68. Donc il n’y a pas eu les 10 ans, les 20 ans, les 30 ans du MLF, mais il y a eu les 40 ans. Pourquoi ? Parce que quelques-unes l’ont décidé. Les 40 ans furent avant tout le fruit d’une décision. Elle aurait pu ne pas être prise. Elle l’a été. C’est ainsi : quelque chose arrive parce qu’on le décide. Et parce que cette décision a été prise, d’autres, nombreuses, multiples, ont suivi : décisions de faire des expositions de photos, ou de projeter des films, ou d’organiser des débats, ou de réaliser des documentaires, des émissions de radio et de télés, ou de créer un blog, ou de tenir des journées d’études, ou de rassembler sur une esplanade, ou de faire des fêtes, ou de se réunir en congrès… Oui des décisions multiples, prises par celles qui avaient lancé cette idée des « 40 ans » ou par d’autres, au fil des semaines et des mois de cette année 2010.
Ces multiples initiatives, qu’ont-elles produit ? D’abord, une plongée dans les années 70, sans nul doute, faisant remonter du passé des visages, des noms, des textes, des analyses, des slogans, des luttes, des mots, des sentiments, des rires et des larmes. Non pour transformer ce passé en modèle, non pour le répéter, juste pour dire – mais ce « juste » n’est pas rien – qu’il a existé, et qu’ayant existé il n’est pas étranger au présent. Le dire, le raconter à celles et ceux qui l’ont oublié, ou ont voulu l’effacer ou ne l’ont jamais connu. Il y avait, dans les « 40 ans », un désir et un devoir de transmission. Cet objectif, partiellement atteint, doit être poursuivi. Mais ces « 40 ans » n’ont pas été qu’un retour sur le passé. Ils furent aussi ancrés dans le présent, par le rôle de passerelle intergénérationnelle qu’ils ont joué ainsi que par leur conséquence paradoxale. En effet, dans la foulée des sexagénaires célébrant les « 40 ans du MLF », les questions ont surgi : qu’en est-il du féminisme aujourd’hui ? Qui sont les jeunes féministes ? Que pensent-elles ? Que veulent-elles ? Que font-elles ? Et du coup, une réalité est apparue : oui des jeunes femmes qui se qualifient de « féministes », eh bien, faut s’y faire, elles existent. Ce n’est pas, me semble-t-il, un moindre effet de ces « 40 ans » que d’avoir obligé à ouvrir les yeux sur le présent, au point d’ailleurs de parler d’un renouveau du féminisme et de considérer ce mot, ringard il y a peu, comme moderne et à la mode.
Moderne, actuel, il l’est en effet. En scansion finale de la célébration, fut organisé le congrès international Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques. C’était les 3,4 et 5 décembre 2010, à Paris. Quels effets pour les femmes des changements du monde, demandions-nous ? Ou encore : face à ces changements, qu’est-ce qu’une politique féministe ? Sont venues parler des femmes du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest. En réponse aux marquages et aux instrumentalisations identitaires de tous ordres, elles ont dit que l’égalité et la liberté étaient des valeurs universelles. Universelles, c’est-à-dire qui valent pour toutes, par delà les cultures, les religions, les nations, les communautés, les histoires. Et qui méritent qu’on se batte pour elles. Nous étions pleinement conscientes de la pertinence des thématiques inscrites en fil conducteur de ce congrès. Nous savions aussi que nous étions en prise avec le présent et l’avenir. Je ne vais pas dire que ce congrès annonçait ce qui allait se passer quelques semaines plus tard, d’abord en Tunisie, avant même la fin de l’année 2010, puis en Egypte puis dans d’autres pays de ce qui s’appelle le « monde arabe », ces révoltes, manifestations, révolutions même contre l’oppression, l’injustice, les inégalités, la corruption, la misère, l’enfermement. Mais enfin, en affirmant l’universalité de certaines valeurs, à l’encontre de celles et ceux qui veulent les assigner à résidence, nous savions que partout dans le monde, des femmes et des hommes pouvaient s’en emparer pour se mettre en mouvement.
Emotion devant les images venues de l’autre côté de la Méditerranée, femmes et hommes au coude à coude dans les rues et places, devant ces visages heureux et fiers de montrer que oui l’égalité et la liberté sont bien leurs valeurs et leur cause. Dégoût et honte aussi devant la frilosité de l’Europe et singulièrement de la France, qui ne salue que tardivement et du bout des lèvres ces luttes contre dictateurs et prédateurs mais agite rapidement la menace d’immigrés envahisseurs comme s’il s’agissait d’une conséquence inéluctable des libertés conquises.
Cette joie de voir des êtres debout ne fait pas oublier ce que nous savons, que rien n’est jamais gagné pour les femmes si elles ne constituent pas en mouvement autonome, s’affirmant du même coup actrices de leur histoire et de l’Histoire et montrant les articulations entre démocratie et droits des femmes. Cette autonomie, les mouvements féministes l’ont toujours portée, sur des scènes nationale et internationale. On peut même ajouter qu’il y a un internationalisme féministe, pour ne pas dire une internationale féministe informelle, heureusement informelle. Alors, en ce 8 mars 2011, pourquoi ne pas envisager une rencontre féministe internationale, par exemple en Tunisie, par exemple à la fin de l’été ?