Une plaque ne fait pas un ministère

Comme d’autres féministes, j’ai reçu un texto du cabinet de la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, m’invitant à assister, mercredi 3 septembre, à 19 heures, à un moment historique, celui où Marisol Touraine, je cite, « apposera la mention droits des femmes sur la façade du ministère pour bien marquer que le ministère des droits des femmes est encore bien là ».

Autant le dire, je trouve cette cérémonie ridicule et cette invitation quelque peu humiliante.

Affirmer en effet qu’une secrétaire d’Etat rattachée à la ministre des affaires sociales et de la Santé, comme c’est le cas dans l’actuel gouvernement, est institutionnellement la même chose qu’un ministère de plein exercice, comme l’était le MDDF dont Najat Vallaud Belkacem était la titulaire, est quand même vouloir nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Une secrétaire d’Etat, n’est pas un-e ministre, elle n’assiste pas à tous les conseils des ministres, n’a pas de budget propre, ne peut pas signer de décret. De surcroît le rattachement à la santé et aux affaires sociales, limite considérablement le périmètre des sujets traités.

La question de l’égalité entre les femmes et les hommes ne relève pas de la santé ou des affaires sociales, elle est une question politique, à portée transversale, qui concerne l’ensemble des domaines et des enjeux (qu’ils soient sociaux, sociétaux, économiques, culturels, diplomatiques, judiciaires, policiers, militaires…) et qui donc se situe au niveau de l’ensemble de l’action gouvernementale.

Idéalement, un ministère des droits des femmes ne devrait pas exister. Idéalement en effet, si  chaque ministère et chaque administration était conscient-e qu’il y a un aspect genré dans son action, un ministère des droits des femmes ne serait pas nécessaire. Mais tel n’est pas le cas. Encore maintenant, malgré des progrès, il faut sans cesse exercer vigilance, attention, éveil, souligner que les effets de telle ou telle mesure, de telle ou telle loi, ne sont pas les mêmes pour les femmes et les hommes, compte tenu de leur place dans la société, créer des dispositifs permettant d’avancer sur le chemin de l’égalité et de la liberté.

Un ministère des droits des femmes de plein exercice a une double fonction. Une fonction symbolique, en tant que son existence indique une conscience de la transversalité de l’enjeu de l’égalité et de la liberté des femmes, une fonction d’aiguillon, de rappel à l’ordre, de propositions. Ces deux fonctions, déjà peu aisées lorsque le ministère est de plein exercice, ne peuvent être exercées par un secrétariat d’Etat rattaché à un ministère particulier.

Et une plaque sur un mur ou une porte n’y changera rien.

Je ne me rendrai donc pas à l’invitation de la ministre mercredi soir. Mais je n’irai pas non plus au rassemblement organisé ce soir mardi 2 septembre devant l’Hôtel Matignon, pour protester contre la disparition du MDDF. Le texte initié par le CNDF (collectif national des droits des femmes), signé de plusieurs associations et partis politiques qui appelle à ce rassemblement dénonce à juste titre cette disparition ; mais il est aussi flanqué d’un dernier paragraphe qui dénonce « un virage à droite très significatif » et affirme ne pas vouloir laisser « les acquis du mouvement féministe disparaître dans les affres d’un remaniement délétère ».

Comme à chaque fois que le CNDF propose un texte, celui-ci n’est pas modifiable, c’est à prendre ou à laisser. Eh bien j’ai laissé. Parler de la suppression du MDDF suffisait. Vouloir y  ajouter un propos plus large – et en effet  le « mouvement féministe » peut et doit contribuer à l’analyse et à l’action politiques, en particulier dans l’actuelle situation, grave et complexe –  supposait autre chose que formules convenues et considérations politiques sommaires. Je ne m’étonne pas que le Parti communiste, le Parti de gauche, le Front de gauche se joignent volontiers à cet appel qui relaie leurs analyses à bien des égards simplistes.

Post scriptum :

Depuis sa nomination au ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Najat Vallaud Belkacem subit une volée d’attaques et d’injures sexistes, racistes, misogynes. Je souhaite et j’espère que le « mouvement féministe » lui apporte, sous cet angle-là, soutien et solidarité. Elle a ici les miens.

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