Tribune publiée par Libération le 21 mai 2017
Depuis sa constitutionnalisation en 2000, la parité a permis d’augmenter la mixité dans la représentation politique – ce qui était son but premier – ainsi que dans toutes les sphères de l’Etat et de la société. Cette mixité est même quelquefois –mais encore trop rarement – paritaire, ce qui est le cas des gouvernements français depuis 2012.
S’agissant du nouveau gouvernement conduit par Edouard Philippe, de nombreux commentaires ont à juste titre souligné que la parité quantitative ne s’accompagnait pas d’une parité que l’on pourrait qualifié de qualitative. Autant de femmes que d’hommes certes, mais les unes et les autres ne se partagent pas des ministères à périmètre et à pouvoir équivalents.
Un tel constat qui pourrait être élargi à d’autres secteurs que celui de la politique tant institutionnelle que militante autorise à poser quelques questions.
D’outil de l’égalité, la parité n’est-elle pas devenue l’outil de la perpétuation de l’inégalité ? D’ «habit de l’égalité », pour reprendre l’expression de la philosophe Geneviève Fraisse, la parité n’est-elle pas devenue l’habit, le déguisement de l’inégalité en égalité ?
C’est en effet une parité pervertie qui nous est proposée, réduite à une conception quantitative. La parité constitutionnalisée a produit du chiffre, mais elle n’a pas, en tout cas pas assez, produit de l’égalité de pouvoir.
L’enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes est un enjeu démocratique et politique et, comme tel, il renvoie non pas à une seule parité arithmétique, mais bien à une exigence d’égalité de pouvoir. Il ne suffit donc pas qu’il y ait autant de femmes que d’hommes, il faut aussi que femmes et hommes exercent le pouvoir à part égale. Or c’est bien là que se jouent les résistances, dans le partage de l’exercice du pouvoir, qu’il s’agisse du pouvoir politique, du pouvoir de représentation, des pouvoirs économique, financier, culturel, intellectuel, social … Il n’y a guère que le pouvoir domestique – celui du travail du même nom ou du souci des enfants et de la famille – que les hommes sont encore trop nombreux à laisser aux femmes, alors que celles-ci sont disposées à le partager davantage !
Obligés par la Constitution de capituler sur le quantitatif, la plupart des hommes résistent encore sur le qualitatif, ultime mais farouche résistance face à laquelle la parité n’est peut-être pas – plus- ni le mot juste ni l’outil adéquat.
Le moment n’est-il pas venu de (re)mettre sur le devant de la scène le mot égalité, un mot qui dérange davantage, car il est plus difficile de faire supporter une réduction arithmétique à ce principe politique et républicain.
L’égalité qui n’est jamais une donnée, mais toujours une conquête et dont la mise en en œuvre, la réalisation concrète ne s’effectuent que sous la contrainte, que cette contrainte s’exerce par une loi, ou résulte d’actions conduites par des collectifs qui pourraient se (re)mettre en mouvement, (ou en marche, pourquoi pas), maintenant et ici, soit autant dans les bureaux qu’au Parlement, autant dans les usines que dans les conseils d’administration, autant dans les cuisines que dans les palais de la République.