Royal, vidéo, 35 heures : touchez pas aux profs (14 novembre 2006)

La vidéo diffusée mais qui n’aurait pas dû l’être, si l’on a bien compris, de Ségolène Royal expliquant devant des militants socialistes quelque chose qu’elle pense mais qu’elle ne veut pas crier sur les toits, par peur de représailles syndicales, à savoir la nécessité de faire rester les professeurs – du moins ceux du collège – 35 heures dans leur établissement est évidemment un épisode qui n’est pas sans intérêt et à propos duquel je m’autorise à mettre mon grain de sel avec quelques remarques qui, je le sais, vont déplaire à tous, pour des raisons souvent opposées d’ailleurs ( mais il faut savoir vivre dangereusement !) :

            1) La diffusion de cette vidéo, tronquée, on le sait maintenant (et dans les temps anciens on aurait dit « citation coupée de son contexte ») montre que les petits camarades ne mégotent pas sur la manière de se glisser des peaux de banane sous les pieds, ce qui nous laisse deviner la nature du rassemblement annoncé des socialistes, une fois qu’ils auront désigné leur candidat(e) à l’élection présidentielle.

Par ailleurs, cette diffusion relève aussi du « faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais » : en effet au nom de quoi interdire aux élèves de diffuser photos et même vidéos de leurs enseignants sur leurs blogs quand les adultes se le permettent (même question que celle évoquée dans ma chronique du 18 septembre « La faute à mai 68 » : ceux qui rappellent sans cesse les « élèves à la loi »,  comme l’on dit dans les textes officiels et les séminaires de formation sur la vie scolaire, ne se gênent pas pour la transgresser quand cela les arrange, eux).

J’ajoute que du côté de Ségolène Royal, cette manière d’envisager des mesures sans les rendre véritablement publiques augure mal de la mise en oeuvre de ses promesses sur la transparence et la démocratisation de la vie politique !

2) Cette suggestion de 35 heures de présence au collège est évidemment inopérante. D’abord parce qu’il n’y a aucun intérêt ou avantage à ce qu’une partie du travail des enseignants se déroule dans l’établissement (on ne voit pas en effet en quoi corriger des copies dans l’établissement plutôt qu’assis au soleil ou allongé dans son lit augmenterait la rapidité et/ou la qualité de la dite correction, et l’on voit encore moins comment la qualité d’un cours serait augmentée par une préparation effectuée dans une salle encombrée ou dans un étroit bureau, loin des livres, des textes, bref de tout ce qui est nécessaire à la préparation intellectuelle de l’enseignant et de l’enseignement).

Mais refuser cette approche simplette parce que strictement quantitative ne doit empêcher ni la réflexion sur les qualités de l’enseignement et des enseignants, ni surtout la réflexion sur la manière d’être enseignant aujourd’hui.

3) Or ce qui me frappe dans les réactions aux propos sommaires de Ségolène Royal, c’est qu’elles attestent, une nouvelle fois, de la quasi unanimité corporatiste des enseignants, en tout cas de ceux – syndicats, associations, partis, groupes, revues, sites Internet ou individus – qui s’affirment comme leurs représentants, leurs défenseurs, leurs porte-parole.

En effet, tous ou presque confondus, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre, qu’ils croient à l’instruction ou à la pédagogie pour reprendre cette récurrente et idiote distinction qui continue cependant à alimenter maintes polémiques, qu’ils soient du Snes ou du Snalc, qu’ils se disent républicains et/ou démocrates, qu’ils alimentent les blogs de l’extrême gauche ou de l’extrême droite, tous n’en finissent pas de le répéter : les professeurs travaillent beaucoup plus que 35 heures, d’ailleurs une enquête du ministère de l’Education nationale le prouve (tiens, tout d’un coup, soit dit entre parenthèses, les enquêtes auparavant jetées aux orties par ceux qui jugent le ministère entièrement phagocyté par les intégristes pédagos deviennent crédibles !) et de toute façon leur travail ne peut pas s’appréhender de manière quantitative, de surcroît il est faux d’affirmer, comme l’a apparemment fait Ségolène Royal, qu’ils font du soutien individualisé payé dans des boîtes créées pour cela, et si quand même, certains, peut être, à bien y réfléchir, le font, ils ne sont qu’une toute petite minorité, et s’il faut être présent 35 heures au collège par semaine, la question « mais qui va garder les enfants ? » est remplacée par « mais qui va corriger les copies ? », et last but not least, tout cela est un signe de « haine des enseignants », de « populisme », de « démagogie anti-profs » etc.

C’est, en résumé, ce que l’on entend depuis que cette vidéo est miraculeusement apparue sur le web.

Ainsi, une fois de plus, preuve est faite qu’il est impossible de débattre en France du travail et surtout du statut des enseignants. Aucune raison d’ailleurs de ne pas inclure dans cette impossibilité l’ensemble des personnels relevant du système éducatif, qu’il s’agisse des corps d’inspection, des agents de l’administration centrale ou rectorale ou départementale, des chefs d’établissement, des recteurs etc. Tous, chacun le sait, sont compétents, courageux et surtout travaillent admirablement, dans une conscience professionnelle qu’il est forcément démagogique d’examiner. Il se peut qu’il existe des problèmes à l’école. Mais aucun, je dis bien aucun, ne relève de la responsabilité des personnels de l’éducation nationale, à quel que niveau que ce soit. C’est la faute au système, au trop ou au pas assez de réformes, aux programmes, à la société, aux parents, aux enfants, au ministre, mais jamais aux personnels, tous admirables, de cette magnifique maison.

4) Cette omerta, j’ai choisi mon mot, qui règne à tous les niveaux se retourne contre ces personnels, et particulièrement, hélas, les enseignants. Cessons, de grâce, de parler de manière globale et générale. Non plus dire « les profs » mais dire « des profs ». Eh bien, je l’affirme, de même qu’il y a des inspecteurs généraux qui travaillent et même qui travaillent beaucoup et d’autres qui ne font rien ou presque, sans que d’ailleurs cela ait la moindre conséquence pour les uns comme pour les autres, de même il y a des enseignants qui travaillent bien plus que 35 heures et d’autres qui ne vont pas au delà de leurs heures de présence dans l’établissement, soit, dans la plupart des cas, moins de 20 heures par semaine.

Quelle est la proportion des uns et des autres ? Nul ne le sait, puisque les enquêtes effectuées reposent forcément sur du déclaratif (et si quelqu’un s’avisait d’allait vérifier le déclaratif, il serait immédiatement traité au moins de fasciste !). Mais, dans un collège ou un lycée, comme à l’inspection générale, chacun sait qui travaille et qui ne travaille pas. Ou peu. De même que l’on sait qui corrige des copies en grand nombre et qui se limite au minimum, qui met trois mois à rendre un devoir et qui le fait quand le dit devoir est encore dans la tête des élèves,  qui renouvelle ses cours chaque année et qui répète sans cesse la même chose, qui ne se contente pas de faire un cours magistral mais s’efforce de savoir ce que les élèves en ont entendu et compris, qui répète le manuel et qui personnalise son enseignement. De même que l’on sait qui refuse d’avoir cours l’après-midi pour en effet aller travailler ailleurs, qui négocie ses absences avec les élèves en leur promettant aussi l’impunité en cas d’absentéisme, qui refuse systématiquement d’avoir cours le vendredi et le lundi (au détriment de l’emploi du temps des élèves), qui est souvent absent et qui l’est rarement, qui accepte de participer à des réunions pour une approche collective de la classe et du travail des élèves et qui se défile à chaque fois etc.

Je pourrais multiplier les exemples qui attestent de cette manière différente d’assumer ses responsabilités, différences qui n’ont pratiquement aucune conséquence pour la personne, ni en terme de salaires, ou de promotion, ou de reconnaissance institutionnelle…

Elles ne renvoient qu’à la morale personnelle de l’individu, à sa conscience, autant dire à quelque chose d’assez… flexible.

              5)Je m’étonne pour ma part de cette acceptation de l’indifférenciation, de ce traitement identique qui est en réalité injuste. Il est en effet injuste que des personnels dévoués et consciencieux soient traités de la même manière que des paresseux et des désinvoltes, lesquels sont indéfiniment protégés par le statut de la fonction publique. Sombre-t-on dans le « populisme » ou la « haine » des enseignants en écrivant cela ? Est-ce de l’ultra libéralisme ? Je ne le crois pas.

De la même manière que le discours syndical (et d’une grande partie de la gauche), sans cesse articulé à la question des moyens, produit inévitablement les actuels audits de l’éducation nationale conduits par l’inspection des finances (audits qui jugent que l’augmentation des moyens doit être liée à une obligation de résultats), le traitement indifférencié des personnels et le silence partagé face aux incompétences et aux paresses font le lit du libéralisme et de la privatisation de l’éducation nationale.

Oui, il faut soutenir les personnels de l’éducation nationale et même leur rendre hommage, tant leur tâche n’est pas simple et tant la société se défausse sur l’école de tous les problèmes qu’elle ne parvient pas à résoudre ou même qu’elle crée. Mais ce soutien ne doit pas signifier l’absolution de tous et l’immobilisme.

 

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