Article dans la revue Gauche 1984

UN ARTICLE DANS LE NUMERO DE LA REVUE GAUCHE (Novembre-décembre 1984) 

Mis en ligne février 2012
Ci-dessous un article écrit en 1984. Mise en garde donc contre le libéralisme. Mais il a fallu presque 30 ans pour que la critique du libéralisme économique soit prise un peu au sérieux, devienne même une antienne, y compris de la part de ceux qui en avaient vanté les vertus, et pas seulement à droite. 30 ans ou presque, soit le temps mis pour qu’on prenne conscience des ravages du capitalisme, lorsqu’il est livré à lui-même et qu’on le laisse aller au bout de lui-même.

DONC nous étions en 1984 !

« A droite, la mode, on le sait, est au libéralisme. Economique s’entend. Pas un leader de l’opposition, pas un chantre du reaganisme et du thatcherisme qui ne décrive l’avenir radieux promis aux Français lors­que ceux-ci, enfin séduits par le nouvel « isme » chasseront l’ancien (le socialisme, bien sûr).

Par-delà les mots, quels sont les char­mes discrets de la « solution libé­rale » ? Jimmy Goldsmith, qui ne cherche pas à s’installer à Matignon en 86, ni à l’Elysée en 88 (mais qui est le patron de L’Express) a vendu la mèche, il y a quelques semaines, dans son hebdo préféré. En une dizaine de pages, il dé­crit, secteur par secteur, la société de ses rêves. Pour l’atteindre, un remède de cheval, la privatisation : santé, éduca­tion, sécurité sociale, retraites, entrepri­ses, rien n’échappe à l’ouragan libéral qui ne respecte qu’une loi, la seule qui soit bonne et utile, la loi de la concur­rence. Grâce à elle, place aux jours meilleurs. Les hôpitaux privés, par exemple, auront à cœur de bien soigner les mala­des et les écoles privées de bien éduquer les enfants. Les pro­jets éducatifs méritent une at­tention particulière. Principe de base : un chèque éducation remis à chaque famille qui dé­cidera, en toute liberté bien sûr, de confier sa progéniture à l’établissement de son choix, toutes les écoles étant mises en concurrence les unes avec les autres pour le cursus des études, les examens, et la re­cherche de la clientèle ; une clientèle qu’il faudra conqué­rir, séduire et conserver.

Quant aux entreprises, enfin libres elles aussi et concurren­tielles, enfin délivrées des sinis­tres lois sur l’embauche et le licenciement, elles n’auront d’autre souci que la qualité des produits fabriqués et le bon traitement des salariés. Corol­laire : « La majeure partie des lois du travail deviendra sans objet. » Pourquoi ? Elémen­taire, mon cher Goldsmith : si la main-d’œuvre est maltraitée, elle s’enfuira chez le concurrent qui la traitera mieux ! Vision de rêve, démentie par toute l’histoire du travail et des conquêtes sociales. Pour­quoi ne pas imaginer, en effet – et long­temps les choses se sont passées ainsi, avant, précisément, la législation du tra­vail – que les entreprises se mettent d’accord entre elles sur les conditions offertes à ceux qu’elles salarient. Mais un tel raisonnement ne peut naître que dans un esprit perverti par la social-démocratie.

 Les renards dans le poulailler 

La loi du marché, la loi de la concur­rence, principes de base de la vulgate libérale, sont présentées comme les meil­leures garanties de l’efficacité, de la réussite et du profit. Tout dépend pour qui ! Il est triste qu’à la veille de l’an 2000 il soit nécessaire de réactualiser une image qu’on croyait obsolète, celle « du renard libre dans le poulailler libre ». Les voies de la modernité libérale ne sont donc pas impénétrables. Et il n’y a pas que les patrons de presse pour nous servir de guide. Les jeunes loups de l’opposition prennent plaisir à baliser le chemin. Alain Juppé, « tête économi­que », paraît-il, du RPR, s’enthousiasme lui aussi pour la privatisation des hôpi­taux, « la concurrence entre les caisses de Sécurité sociale », et « l’introduction de modes de protection sociale diffé­rents » (interview dans L’Expansion du 5 octobre). En clair, la « tête économi­que » cogite, pour les soins et les retrai­tes, un système d’assurances privées qui assurerait une couverture différente selon les contrats souscrits.

A l’UDF, on n’est pas en reste : Alain Madelin vante avec ardeur les mérites d’une « privatisation de la protection sociale ». Et notre libéral de service d’utiliser, pour mieux se faire compren­dre, une comparaison : « Il n’y a pas de sécurité sociale automobile, explique-t-il, et pourtant, gràce à l’assurance auto­mobile obligatoire, aucun conducteur ne se sent sans protection devant le risque d’accident. » A. Madelin se garde bien de préciser qu’entre le contrat « tiers collision » et le contrat « tous risques », de sin­gulières différences de garan­ties et de coûts existent. Pas de doute : on nous propose très clairement une France à plu­sieurs vitesses, avec une super protection sociale pour les uns, une sous protection, voire pas de protection du tout pour les autres. Les « forts » pourront alors, comme le dit A. Made­lin, « se mettre au service des faibles ». Tant il est vrai que pratiquer l’assistance ou la charité offre bien des délices et apporte aux « forts » un sup­plément d’âme qui leur permet de se réjouir un peu plus d’être du bon côté de la barrière. A lire et écouter les gourous du libéralisme prétendument new look, on fait une plongée en plein 19e siècle. Sauf qu’il y aura une façon moderne de faire acte de charité : pianoter le dimanche matin sur un ter­minal d’ordinateur pour crédi­ter les soupes populaires plutôt que de jeter quelques sous sur le parvis des églises. »

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