1) Mai 68, à nouveau, rendu responsable de tous les maux par Nicolas Sarkozy. Je dis à nouveau puisque ce n’est pas la première fois qu’il reprend l’antienne (cf. mon bloc-notes du 18 septembre où j’ai déjà montré comment le procès fait à Mai 68 a pour fonction évidente de masquer les causes de la dégradation ambiante).
Cette fois, il en a rajouté une louche, en faisant de mai 68 la cause de la financiarisation du capitalisme et des golden parachutes de certains PDG. Quand même, c’est culotté. Je savais, pour reprendre les mots de Marx, que les hommes font leur propre histoire sans savoir quelle histoire ils font. Mais à ce point, je ne l’imaginais pas. En effet je n’avais pas jusqu’à présent imaginer que je portais, moi la vieille soixanthuitarde (assumée, revendiquée, voir 32 jours de mai) une quelconque responsabilité dans les millions d’euros que s’offrent en pot de départ des patrons bien connus pour avoir passé leur jeunesse dans des manifestations et des grèves!
En fait dans cet appel à la “liquidation” (mot terrible !) de mai 68, il y a, au moins deux choses.
D’une part l’idée que les turpitudes d’un petit nombre (et dans ce petit nombre pas mal soutiennent le liduidateur) ne doivent pas devenir celles de tous. Que certains en effet s’affranchissent des règles communes et se considèrent au dessus des lois, confondent intérêt public et intérêt privé, soient prêts à tout pour du fric, du pouvoir, de la notorièté, soit. Mais si le bon peuple, lui aussi, se met à croire que tout lui est permis, alors là, non.
D’autre part ce que Sarkozy, et d’autres avec lui, haïssent dans mai 68, une haine sans cesse réaffirmée et si vive encore presque quarante ans plus tard (et pas seulement d’ailleurs dans les rangs de la droite), ce n’est pas tant les grèves ou les manifestations ou les occupations d’usine ou même la prétendue immoralité de ces quelques semaines. Non, ce qu’ils détestent par dessus tout, c’est ce moment, ces journées où des êtres humains, femmes et hommes, jeunes et vieux, citadins et paysans, travailleurs manuels et intellectuels, ouvriers, employés et même cadres, artistes, écrivains, cinéastes, sportifs, bref une très grande partie des composantes de la socièté française, ont décidé de prendre leur vie en mains, de vivre autrement, d’avoir avec les autres d’autres relations. Oui, ce qu’ils détestent, c’est ce moment en effet dangereux pour eux, où des êtres humains affirment une dignité nouvelle, où ils sont libres et debout.
Ce qu’ils détestent de mai 68, c’est cette légèreté, cette grâce par laquelle les hommes s’échappent et échappent à ceux qui sans cesse veulent marquer leur emprise (patrons, gouvernement, partis, syndicats, medias…))
2) Frappant que la plupart des commentaires qui ont suivi le débat télévisuel Ségo/Sarko ont porté davantage sur la prestation de Ségolène Royal que sur celle de Sarkozy, moins d’ailleurs sur son contenu que sur sa forme et même sur la personne de la candidate. Commentaire de sa tenue vestimentaire (mais pas celle de Sarkozy) de sa manière de se tenir, du ton qu’elle a utilisé etc. Commentaire surtout sur sa capacité à faire face à celui qui est le favori des sondages, comme s’il était étonnant qu’elle puisse tenir plus de deux heures en sa présence. Mais qu’attendaient-ils ? Qu’elle bafouille, qu’elle pleure, qu’elle mélange tout, qu’elle soit incapable d’argumenter, qu’elle s’effondre ? Quoi d’autre encore ? Comment, des mois de réunions, de meetings, de débats pour gagner l’investiture socialiste, puis des mois de campagne électorale, et encore, et toujours la question de la compétence qui est posée ! Plus que la compétence d’ailleurs. Celle de la légitimité. Sans nul doute parce qu’elle est une femme.
Les commentaires l’attestent : il n’y a pas d’interrogation sur la légitimité de Sarkozy. Il y en a – et de très vives – sur son programme, ses idées, ses objectifs, ses projets, sa personnalité etc. Mais pas sur sa légitimité. Alors qu’au sujet de Ségolène Royal, par delà les accords et les désaccords, il existe une sorte de suspicion, comme si elle occupait une place à laquelle, au fond, elle n’a pas droit. Une usurpatrice en somme.
3) Juste un mot sur l’Ecole et l’éducation puisque nos deux candidats ont abordé, très brièvement, le sujet. Ce qu’il faut reconquérir, redonner, revaloriser, restaurer, tous les verbes conviennent, c’est l’exigence intellectuelle. L’exigence intellectuelle pour tous. Un mot qu’hélas ils n’ont pas prononcé. J’y reviendrai. .