La liaison effectuée à la fin du XIXe siècle entre émancipation des femmes, annulation de la différence des sexes, destruction de la famille et déclin de la France, persiste, ce qui ne lasse pas d’étonner.
Sous cet angle, Éric Zemmour qui identifie fin du patriarcat et fin de la France en est une caricaturale illustration.
Lourde misogynie, assurément, dont je me dispense de recopier les vulgarités et grossièretés, la « chiennerie française » comme disait Julien Gracq en saluant le courage de Simone de Beauvoir d’avoir osé l’affronter[1]. Mais l’essentiel n’est pas là.
Pour Zemmour la fin de la France, la fin de l’identité française, la fin du patriarcat, sont des synonymes. La France n’est elle-même qu’impériale et patriarcale. L’empire perdu, d’abord l’empire au sens napoléonien du terme, puis l’empire colonial, restait quand même le patriarcat. Mais l’après mai 68 s’est attelé à sa disparition, les féministes gagnant leur combat, avec le renfort des homosexuels. La France se meurt de la mort du père, celle du « père de la nation », le général de Gaulle, par où commence « Le suicide français » et celle du père de famille. La France d’aujourd’hui est une France féminisée, et même femellisée, une France qui « se couche »[2], autant dire une pute, vendue au néolibéralisme, à la mondialisation, à l’Europe, à l’Amérique, aux féministes, aux gays, à la théorie du genre, aux antiracistes, aux écologistes, à la racaille des banlieues, aux Arabes, aux Noirs, aux musulmans…
La rengaine de la virilisation des femmes étant éculée, celle de la féminisation des hommes est encore de saison, discours que l’on entend aussi du côté des Républicains américains les plus conservateurs, mais là, bizarrement, il ne s’agit pas d’une « théorie étrangère » ! Cette féminisation des hommes et de la société est aussi un refrain asséné par Régis Debray depuis quelques années et encore récemment, où la patrie devient une « matrie », ce qui explique que la grandeur et l’héroïsme soient relégués au rayon des has been. Grandeur et héroïsme inséparables de la guerre, la vraie, celle qui existait dans un temps qui n’était pas celui de la Big Mother [3], pas la guerre d’aujourd’hui avec des drones et zéro mort, non la guerre avec « les tranchées et les batailles de chars ». Une guerre d’hommes, quoi, une guerre virile !
Mais il ne faut pas s’arrêter là. Encore plus porteur, ou vendeur, est d’affirmer que le patriarcat n’a pas laissé la place à l’égalité, mais à une domination des femmes, plus précisément à une domination matriarcale et même au matriarcat. La perte des repères nait de celle des vrais pères, qui disparaissent avec l’abolition – du moins juridique- du patriarcat, mais surtout parce qu’ils sont sommés de devenir « des femmes comme les autres » et « des mères comme les autres », tandis que l’Etat fort, garant de la force de la France, a été remplacé par un « Etat maternel » qui infantilise et culpabilise, comme les mères qui ne savent faire que ça. Sur ce chemin du matriarcat en action, Zemmour peut croiser d’autres compagnons de jeu[4], qui murmurent ce que lui clame avec trompettes et grosse caisse.
Le chantre de la virilité en perdition y ajoute un antiféminisme nationaliste et identitaire. Zemmour n’est pas pétainiste seulement parce qu’il exonère Vichy de la déportation des Juifs de France, il l’est parce qu’il identifie la France à la famille patriarcale.
S’il ne détestait pas tant les Maghrébins, les Arabes, les Musulmans, Zemmour comprendrait que sa résistance à l’émancipation des femmes n’a rien à envier à celle des islamistes et pourrait se soigner en suivant les conseils de Michel Houellebecq. Lui aussi conçoit le déclin non plus seulement de la France mais de l’Occident sous le prisme de la fin du patriarcat et du mâle blanc devenu un pauvre type.
Mais le héros de Soumission trouve le remède en se ralliant au président musulman démocratiquement élu à la tête de la République française, dont le programme est de part en part zemmourien : « rejet de l’athéisme et de l’humanisme, nécessaire soumission de la femme, retour du patriarcat, rejet du mariage homosexuel, du droit à l’avortement, du travail des femmes[5].» Avec le nouveau régime, tout redevient comme avant, en mieux même. La famille retrouve sa dignité, les femmes rentrent à la maison, après des études courtes dans des écoles ménagères, les hommes peuvent être officiellement polygames, trois épouses, deux jeunes pour le sexe, une plus âgée pour la cuisine, et plus personne pour leur casser les pieds avec le partage des tâches domestiques, plus de « tigresses », « matonnes », « diablesses », « dames patronnesses » et autres « boutiquières [6]» qui portent plainte pour harcèlement sexuel exigent dès qu’on leur tripote le cul dans le métro ou dans la rue, qui n’approuvent pas le « troussage de domestique », ou qui ont la bêtise de confondre « galanterie un peu appuyée » et sexisme.
[1] Julien Gracq, La littérature à l’estomac, op.cit., p.55
[2] Eric Zemmour, Le suicide français, op.cit. , p 522
[3] Régis Debray, Madame H, Gallimard, 2015. p. 80
[4]Par exemple Jean-Claude Michéa dans L’empire du moindre mal, Champs, 2010, p.169 ou Robert Redeker (Le Point,20 février 2014)
[5] Michel Houellebecq, Soumission, Grasset, 2015, p. 275-276
[6] Ce sont quelques-uns des termes que l’on trouve de manière récurrente sur le site Causeur, pour qualifier les féministes d’aujourd’hui. En leur temps les filles du MLF, dans les années 70, se faisaient traiter de mal baisées, sales gouines, hystériques, castratrices…