La défense du patriarcat en défense de l’identité française

Mon article sur l’anti-féminisme identitaire d’Eric Zemmour

Dans le réquisitoire permanent que Zemmour dresse depuis plusieurs années, toujours avec les mêmes arguments, répétés de livre en livre, et qui se donne comme une analyse de ce qu’il appelle « la mort de la France » – mort qui relève en même temps d’un suicide et d’un assassinat –, la question des femmes tient une place aussi centrale que celle de l’immigration. L’antiféminisme de Zemmour ne relève pas seulement de la misogynie ou du sexisme, il est une composante fondamentale de ce qu’il préconise pour que la France redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, selon lui : une nation catholique, sans immigrés et patriarcale. L’identité française se confond avec le patriarcat et la France n’est elle-même que patriarcale. Suite en ligne ou ci-dessous (mais sans les notes de bas de page)

La misogynie et le sexisme d’Éric Zemmour qui irriguent non seulement le livre qui leur est dédié, Le Premier Sexe, publié en 2006, mais aussi les suivants, ont été abondamment soulignés, avec force citations à l’appui, et je ne n’y reviens pas ici. Je veux juste rappeler que Zemmour est différentialiste, partisan d’une différence radicale entre les femmes et les hommes, entre le féminin et le masculin, l’un quasi entièrement négatif à ses yeux, l’autre positif.

Du côté du masculin, le génie, le courage, la création, le sexe sans amour, la virilité identifiée à la puissance, la verticalité, le dur, la prédation énoncée comme une qualité. D’où sa défense de Tariq Ramadan qui aurait été « piégé » et de Dominique Strauss-Kahn dont l’arrestation représente « une castration de tous les hommes français »1. Les femmes vues par Zemmour aiment cette virilité-là, à preuve la manière dont « beaucoup d’entre elles » ont succombé à celle « conquérante des soldats allemands »2. Ou encore leur consentement à être « une proie » pour « celui qui à travers elle améliorera l’espèce » 3. À part ce goût bienvenu pour la virilité, on ne trouve, du côté du féminin, que de la mollesse, du sentimentalisme, de la pusillanimité, une incapacité à créer et j’en passe…

Un grand malheur est hélas arrivé à la différence des sexes telle que la conçoit Zemmour : mai 68. Et, dans sa foulée, les mouvements féministes qui n’ont eu que des conséquences détestables : l’écrasement du patriarcat, la disparition des pères (« père de la nation » et « père de famille »), la mise au ban des jeux de l’amour et de la séduction, la féminisation des hommes sommés de devenir des femmes et des mères comme les autres.

L’État, quant à lui, au lieu d’être un garant de la force de la France, a été remplacé par un « État maternel », donc qui « infantilise » et « culpabilise »4, à l’instar des mères qui ne savent faire que ça, tandis que la France a été féminisée, et même femellisée, devenant ainsi une France qui « se couche »5, autant dire une « pute », vendue au néolibéralisme, à la mondialisation, à l’Europe, à l’Amérique, aux féministes, aux gays, à la théorie du genre, aux antiracistes, aux écologistes, aux bobos, à la « racaille » des banlieues, aux Arabes, aux noirs, aux musulmans…

Et pourtant, s’il ne détestait pas tant ces derniers, Zemmour comprendrait que sa résistance à l’émancipation des femmes n’a rien à envier à celle des islamistes. Mais pour un chantre de la virilité en perdition qui prône un antiféminisme nationaliste et identitaire, ce rapprochement serait quelque peu gênant !
Une rengaine
À juste titre a été rappelée, à propos des diatribes antiféministes du peut-être candidat, leur similitude avec celles des courants dits masculinistes ou de l’ancien président des États-Unis Donald Trump. J’ajoute qu’à bien des égards, elles s’apparentent aussi à celles énoncées à la fin du XIXe siècle, lorsque se conjuguaient quasiment dans un même élan xénophobie, antisémitisme et défense des identités de sexe, soit la dénonciation de prétendues menaces contre l’identité française.   La femme qui fait du vélo, qui porte un pantalon, qui fume, pouvait-on lire à l’époque, ne fait qu’« abandonner sa nature, ce qui ne peut que provoquer la fin de la civilisation »6, tandis qu’un certain Alfred de Ferry, prédisait, dans Un roman en 1915, « un renversement de toutes les valeurs dont la femme émancipée est la plus ridicule mais aussi la plus menaçante des manifestations ». Ce roman publié en 1889 et qui annonçait que le monde en 1915 serait « plus laid » surtout à cause de l’émancipation des femmes et de la dissolution de la différence des sexes qu’elle implique, n’avait pas prévu qu’en effet, en 1915, le monde serait pire mais pour une autre raison !

Je reconnais bien volontiers que Zemmour en rajoute une louche plus actuelle, le consumérisme. En effet dans l’alliance qu’il juge mortifère « du libéralisme économique et du libéralisme sociétal », les féministes avec leurs alliés gays sont coresponsables du développement de la société de consommation et de la financiarisation de l’économie. Les pères d’avant contenaient les pulsions consommatrices tandis que les femmes, elles, sont des agents du consumérisme et donc du grand marché libéral ! Ainsi les femmes qui font souvent et depuis très longtemps le marché et les courses font aussi, qui l’eut cru, le Grand marché !

Ainsi pour Zemmour la fin du patriarcat, la fin de l’identité française, la fin de la France sont des synonymes. La France n’est elle-même qu’impériale et patriarcale. L’empire perdu, d’abord l’empire au sens napoléonien du terme, puis l’empire colonial, restait quand même le patriarcat. Mais l’après mai 68 s’est attelé à sa disparition, les féministes gagnant leur combat, avec le renfort des homosexuels.

L’antiféminisme relève de la défense de la France, il en est une composante essentielle. Et il ne faut pas s’y tromper. Zemmour ne s’en prend pas au féminisme que certain(e)s qualifient de « néoféminisme »7, pour se démarquer de l’intersectionnalité, de l’idéologie décoloniale, du wokisme, ou autres « radicalités ». Ce que vilipende Zemmour, c’est le féminisme universaliste, le féminisme de Simone de Beauvoir, le féminisme des filles du MLF des années 1970 dont les féministes d’aujourd’hui sont les héritières.

Que celles et ceux qui invoquent en boucle l’exhortation de Charles Péguy – « Il faut voir ce que l’on voit et dire ce que l’on voit  » –, soient attentifs à ce point que je viens de souligner.  Car il est étonnant que des politiques, des journalistes, des essayistes, des intellectuel(le)s qui se plaisent à présenter la France comme une « patrie féminine », qui ont rabattu l’égalité entre les femmes et les hommes et plus largement le féminisme sur l’identité française, faisant ainsi fi des combats que des femmes et quelques hommes ont menés pendant des décennies, ne voient pas à quel point l’antiféminisme de Zemmour est « structurel », « systémique » pour reprendre des adjectifs à la mode.

Il faut être aveugle à cette composante essentielle du puzzle zemmourien pour se déclarer partisan du féminisme universaliste et juger en même temps que Zemmour « porte l’angoisse existentielle de nombreux Français » ou estimer qu’il a raison d’affirmer que « la France est en danger de mort »8.

D’ailleurs, bizarrement, ladite France qui était morte à la fin du Suicide français a semble-t-il ressuscité quelques années plus tard puisque désormais il s’agit de « la sauver9». Mais, comme nous le savons, « il n’est pas de sauveur suprême » !

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