J’avoue ne pas pouvoir me faire très bien à cette expression dont usent aussi des hommes sensés : un certain peuple (en train d’élaborer sa liberté légale) n’est pas mûr pour la liberté ; les serfs d’un propriétaire terrien ne sont pas encore mûrs pour la liberté ; et de même aussi les hommes ne sont pas encore mûrs pour la liberté de conscience. Dans une hypothèse de ce genre la liberté ne se produira jamais ; car on ne peut mûrir pour la liberté, si l’on n’a pas été mis au préalable en liberté (il faut être libre pour pouvoir se servir utilement de ses forces pour la liberté).
Les premiers essais en seront sans doute grossiers et liés d’ordinaire à une condition plus pénible et plus dangereuse que lorsque l’on se trouvait encore sous les ordres, mais aussi confié aux soins d’autrui ; cependant jamais on ne mûrit pour la raison autrement que grâce à ses tentatives personnelles (qu’il faut être libre de pouvoir effectuer. (…)
Eriger en principe que la liberté ne vaut rien d’une manière générale pour ceux qui leur sont asujettis et qu’on ait le droit de les en écarter toujours, c’est là une atteinte aux droits régaliens de la divinité qui a créé l’homme pour la liberté. Il est plus commode évidemment de régner dans l’Etat, la famille et l’Eglise quand on peut faire aboutir un pareil principe. Mais est-ce aussi plus juste ?
Emmanuel Kant.La religion dans les limites de la simple raison. IVème partie. 2ème section. § 4. Vrin ed.