Inauguration de la place Monique Antoine, à Paris, 10 mars 2018
PhotosCatherineDeudon
Film de l’inauguration réalisé par la cinéaste Charlorre Silvera https://www.youtube.com/watch?v=VlAn7GDgP5Y&ab_channel=CharlotteSilvera
Texte de mon intervention
Nous honorons aujourd’hui Monique Antoine, et j’en suis à la fois triste et contente.
Triste car je préférerais en effet que Monique soit toujours là parmi nous, je préfèrerais, puisque je suis à quelques dizaines de mètres de son domicile où je suis allée tant de fois, être là pour monter le grand escalier de pierre du 44 de la rue Vieille du Temple, « la rue Vieille », comme disait Monique, oui monter cet escalier et boire un petit verre avec elle.
Mais puisque cela n’est plus possible, je suis contente que nous soyons ici rassemblés pour lui rendre hommage. Pour saluer la personne qu’elle était et ce qu’elle a fait. Même si bien sûr mon propos va être bien trop rapide, et bien trop réducteur.
Je remercie la mairie de Paris, je remercie Madame Hélène Bidart, maire adjointe, M. Pierre Aidenbaum, maire du 3ème arrondissement, M. Ariel Weil, maire du 4ème pour leur présence et les paroles qu’ils viennent de prononcer.
Nous célébrons aujourd’hui Monique Antoine, avocate, militante féministe. Mais l’engagement politique de Monique n’a pas commencé avec le féminisme. Avant il y a eu l’engagement en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
1960 : la guerre d’Algérie dure depuis 6 ans, les appelés sont nombreux à traverser la Méditerranée, mais il y a aussi des insoumis et des déserteurs qui ne veulent pas de ce combat et qui font le choix politique d’aider les Algériens. Un réseau les soutient, il s’appelle « Jeune résistance ». Cela convient à Monique Antoine, elle a 27 ans, et « résister », oui, il le faut. Mais elle ne fait pas que soutenir les insoumis et les déserteurs, il lui arrive aussi d’héberger des militants algériens du FLN, ce qui lui vaudra une arrestation en 1961 et un enfermement de plusieurs mois à la prison de femmes « la Petite Roquette » d’où elle ne sortira qu’après la signature des accords d’Evian en mars 1962.
C’est pendant ces mois passés en prison que Monique Antoine comprend l’importance du rôle d’un avocat, métier qui sera le sien pendant près de 40 ans. Avocate, c’est-à-dire pour elle, défendre des personnes et défendre des causes, inlassablement, au long de ces années, dans un mélange d’engagement, de générosité, d’humour et de modestie.
Monique Antoine ne cherchait pas les micros et les caméras, mais elle était là, et bien là.
Là pour participer en 1971, avec Michel Foucault et Pierre Vidal-Naquet, à la création, du GIP (groupe d’information sur les prisons)
Là pour faire partie du collectif d’avocats qui en 1972 défend, lors du procès de Bobigny, la jeune Marie-Claire qui avait avorté après un viol.
Là pour co-fonder, en 1973, notamment avec Jeannette Laot, alors membre de la direction de la CFDT, et Simone Iff, présidente du Planning familial, le MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) et le présider jusqu’en 1975.
Car le MLAC en effet fut fondé puisque c’était une association avec des statuts, tandis que le MLF, contrairement à la prétention vulgaire de certaine, ne fut jamais fondé, ou alors s’il le fut, en tant que mouvement, c’est par des centaines, des milliers de femmes !
Ce combat pour la libéralisation de l’avortement fut rude, il a fallu rester sourd aux injures, aux anathèmes, aux menaces. Il a fallu d’autres fois y répondre, pour briser l’hypocrisie, l’hypocrisie de ceux qui s’opposaient à l’avortement tout en sachant qu’il était pratiqué et le plus souvent, surtout pour celles qui n’avaient pas les moyens d’aller en Suisse et en Angleterre, dans des conditions qui mêlaient la culpabilité, la peur, la clandestinité, le danger aussi d’y perdre la vie ou d’en rester à jamais abimée.
Mais ce fut aussi un combat où, comme le souligne Monique dans son article sur le MLAC dans le livre collectif Le féminisme et ses enjeux, « sur un problème aussi grave qui touche à la vie, à la mort, à l’enfance, à la sexualité, nous avons su parler et agir sans hypocrisie, sans dogmatisme, avec humanité, humour et intelligence ».
Humanité, humour, intelligence, ces mots conviennent parfaitement aussi pour décrire Monique Antoine.
Le MLAC s’installe rue Vieille du Temple, à deux pas du domicile de Monique et je la cite encore : « ce ne fut pas facile de trouver un local pour une association dont le but déclaré était la liberté de la contraception et de l’avortement, nous l’avons repeint en blanc, en bleu, nous avons placé des gros coussins, des rideaux des affiches, ah nos affiches le bébé du MLAC, hilare parce qu’il était désiré !»
Impossible de tout raconter, le combat paiera, puisqu’en janvier 1975 avec le vote de la loi Veil, l’avortement est enfin autorisé.
Monique quitte alors le MLAC, mais cela ne signifie pas qu’elle cesse de lutter, car bientôt un autre combat va être mené, lui aussi lié au corps des femmes, et donc à leur libération, celui contre le viol.
Nous sommes en 1976, le viol est inscrit dans la loi comme un crime, mais dans la très majorité des cas les violeurs ne sont pas jugés par une cour d’assises mais par un tribunal correctionnel, ce qui signifie que le viol a été disqualifié en coups et blessures. Donc commence une campagne contre cette disqualification. La stratégie adoptée est d’obtenir d’une part que les victimes osent porter plainte, qu’elles cessent d’être considérées comme des coupables, d’autre part que les violeurs soient jugés par une cour d’assises.
Monique Antoine, avec d’autres avocates, notamment Josyane Moutet, Colette Auger s’engage dans cette campagne. Ce fut un combat difficile et douloureux. Douloureux parce que , contrairement à ce qui s’était passé pour l’avortement, c’est de son propre camp, de son camp politique, la gauche, l’extrême gauche, de ses confrères, de ses amis, que Monique Antoine, comme les autres avocates, comme les autres féministes, reçoit les plus vives critiques et accusations.
Ah certes nos camarades gauchistes étaient contre le viol, ah certes ils considéraient que les violences contre les femmes, ce n’était pas bien ! Mais enfin les Assises, non, fallait pas. N’était-ce pas cautionné, pour reprendre le langage de l’époque, « la justice bourgeoise » ? Quand un patron comparaissait devant elle, quand un flic y était conduit pour avoir battu ou tué un immigré dans un commissariat, il s’agissait alors de la justice tout court. Mais quand des féministes y plaidaient contre des violeurs, elles cautionnaient la « justice de classe », alimentaient la répression et l’idéologie sécuritaire.
Pire encore ne se faisaient-elles pas complices du racisme puisque, bien évidemment, un immigré, un Noir, un maghrébin, un arabe (on ne disait pas alors « musulman », ou « racisé ») accusé serait évidemment bien plus facilement inculpé et condamné qu’un bon bourgeois propre sur lui ou qu’un Dupont Lajoie à la mode Boisset !
C’était vrai. Et nous le savions. Et Monique Antoine le savait. Et pour elle qui avait été solidaire des Algériens, et pour elle qui avait fait de l’antiracisme l’une de ses feuilles de route, c’était une souffrance de recourir à ces foutues Assises ! Mais elle continua, elle continua parce que le viol, quel qu’en soit l’auteur, est un viol. Et qu’il n’appartient pas à la femme violée de porter le poids des injustices sociales.
Ces deux thèmes de lutte que je viens d’évoquer, celui du droit à l’avortement et celui des violences faites aux femmes, sont hélas encore d’actualité.
Je ne peux évidemment pas tout rappeler aujourd’hui, juste encore une anecdote, quand même, plus drôle celle-là, lorsqu’elle fut l’une des 21 avocates à porter plainte en diffamation contre Jean Cau, alors journaliste à Paris Match. Dans un article publié en juin 1978, Jean Cau déplorait la féminisation de la profession d’avocat et les dangers qu’elle représentait. Pensez donc les avocates, donc des femmes, se sauraient pas résister aux manœuvres de séduction que les « truands », c’était son mot, exerceraient à leur endroit ! Avec des femmes avocates, c’était certain, la justice était en péril ! « Les femmes attaquées aujourd’hui, souligna Monique dans sa plaidoirie, sont des juges, des avocates, demain, dans un autre article, elles seront médecins ou ingénieurs, ce que certains ne supportent pas, c’est que les femmes agissent, qu’elles participent aujourd’hui de la connaissance, de la mort, de l’égalité et de la liberté ». Les 21 gagnèrent leur procès.
Egalité, liberté, des principes politiques car l’émancipation des femmes est un enjeu politique. Monique était une femme de gauche, une féministe, une combattante, c’était aussi une femme généreuse, oui, générosité est le mot dont il faut user pour qualifier Monique Antoine, générosité de l’engagement, souvent au détriment de sa carrière, générosité pour conseiller gratuitement celles qui ne pouvaient pas payer.
Cette générosité était aussi celle de son mari, le docteur Daniel Timsit, que je ne peux dissocier de Monique, Daniel qu’elle rencontra en 1963 lors d’un voyage dans l’Algérie indépendante, Daniel Timsit, petit-fils d’un grand rabbin de Constantine et militant du FLN, membre du premier gouvernement de l’Algérie indépendante, exilé en France après le coup d’Etat militaire de 1965.
Je veux aussi rappeler le souvenir de son père et de sa mère, celle que beaucoup appelait « bonne maman » et que moi j’appelais « madame Antoine ». Je n’ai jamais appelé ainsi Monique. Il m’arrivait de lui donner en souriant du « Maitre Antoine », et immanquablement Monique ajoutait « sur son arbre perché ».
Je ne sais pas trop, chère Monique, où tu es perchée aujourd’hui, ton nom lui, va l’être sur cette place qui n’est pas très grande. En revanche, ta place est très grande dans nos cœurs, comme elle est grande dans le combat féministe et dans celui des femmes et des hommes pour une société plus juste et plus fraternelle.
Je vous remercie
Martine STORTI