L’autre soir, sur FR3, diffusion, dans l’émission Thalassa, d’un reportage que je n’ose qualifier de magnifique. Et pourtant ce qualificatif convient, dans son sens de « remarquable », « admirable en son genre » pour reprendre la définition du Robert.
Oui magnifique est ce documentaire qui relate la traversée du Golfe d’Aden par des hommes, des femmes et même des enfants venus d’Ethiopie et de Somalie et qui tentent de rejoindre les côtes du Yémen. Qui tentent sans toujours y parvenir puisque l’ONU avance le chiffre de 1200 réfugiés morts en 2005 dans le Golfe d’Aden.
Traversée terrible, les corps accroupis, des jours et nuits, les corps sans possibilité de mouvement, d’étirement, les corps entassés, presque emboités les uns dans les autres tant la place est minime. Et puis la soif, la faim, les vomissements…Et puis les coups des passeurs, des coups de ceinture, les baffes pour empêcher toute vélleité de révolte, de rebellion, tant celle-ci pourtant serait possible, une centaine d’hommes d’un côté, quelques-uns de l’autre…
Le réalisateur de ce documentaire, Daniel Grandclément, a fait la traversée avec ces êtres, accroupi comme eux, et comme eux jeté à l’eau peu avant l’arrivée sur les plages yéménites.
Lors de l’émission, faite en direct, il était présent et interrogé sur une île française splendide, Porquerolles, magique même, par sa beauté, sa végétation, ses plages qui certains soirs d’été prennent l’allure d’une île déserte, d’une île perdue.
Ce qui frappait et changeait de maints auteurs de documentaires ou de reportages, ou de certains intellectuels ou hommes politiques revenant, comme ils disent « de l’enfer », quand ils n’ont passé que quelques jours (avec 4X4, caméras, témoins, gardes du corps…) là où s’entassent des mois, des années des êtres sans grande perspective de voir cesser leurs misères, oui ce qui changeait quand on regardait et écoutait Daniel Grandclément, c’est, qu’il ne la ramenait pas (je ne trouve pas de meilleure expression que cette formule familière), qu’il ne transformait pas son travail en acte héroïque. C’est aussi qu’il soulignait qu’au moment même où il parlait et où nous l’écoutions, les images que nous venions de voir se déroulaient, en vrai, qu’à nouveau, cette nuit-là, des hommes, des femmes, des enfants étaient entassés sur des embarcations de fortune et peut être jetés à l’eau et peut être noyés.
Travail magnifique en effet, de témoin, sans que Grandclément soit certain que ce témoignage-là changera le réel. Pas plus qu'il ne se mettait en scène, Grandclément n’avait l’outrecuidance de penser que ce seul acte pouvait avoir un effet de réel. Il espèrait qu'il en sortirait quelque chose, évidemment, que cette petite pierre, parmi d'autres, avec d'autres, pourrait entraîner un changement pour ces êtres qui, de nuit, se glissent dans des embarcations de fortune. Mais sans s'attribuer un rôle décisif, sans jouer l'important. Comportement rare face à un micro et sur un écran de télévision !