Petits plaisirs avec Alain Finkielkraut (3 mars 2007)

Ce qu’il y a d’épatant avec Alain Finkielkraut, c’est qu’on n’est jamais déçu. Jamais surpris non plus. On a bien, en effet, le spectacle auquel on s’attendait. Sans doute est-ce la raison de l'affection constamment renouvelée que lui accorde la scène médiatique. La semaine qui vient de s’écouler nous l’a derechef offert, au moins à travers deux émissions de télévision (il y en a peut être eu d’autres, pour ma part je me suis délectée de Ripostes sur France 5 le dimanche 25 février et de la bien nommée Esprits libres, sur France 2 le vendredi 2 mars.)

Mine tourmentée, épaules écrasées par la mission qui est la sienne, délivrer le monde de sa bêtise, le ramener dans le droit chemin, je n’ose pas dire l’ordre juste, car j’aurais ainsi l’air de l’embarquer du côté de Royal (ce qui serait un crime de lèse-majesté), agacement et parfois même exaspération quand les autres parlent, sauf s’ils sont de part en part d’accord avec lui (non, j’exagère, même dans ce cas on sent bien qu’il estime dommage de ne pas exprimer lui-même l’approbation de ce qu’il vient de dire), énoncé du discours attendu, comme si l’on avait appuyé sur un bouton. Le contenu anecdotique peut changer, mais le propos reste le même  d'ailleurs dans une mise en acte  du fonctionnement qu’il prétend dénoncer, par exemple la pensée binaire, alors qu’il excelle dans l’exercice.

Alain Finkielkraut a depuis longtemps parfaitement compris comment il fallait être et ce qu’il fallait faire pour avoir une existence sur cette scène médiatique (qu’il fait semblant de détester alors qu’elle est son principal appétit, au point d'ailleurs de confondre le monde avec la représentation que les medias en donnent) : durcir le trait, tenir des propos sans nuances, simplifier le réel, en balayer la complexité, mettre précisément les bons d’un côté et les méchants de l’autre, et, tout en adoptant volontiers une posture de victime traquée et réduite au silence, défendre sans relâche son pré-carré médiatique.

Ce qui, on s’en doute, exige vigilance, énergie, temps.
Tellement de temps d’ailleurs qu'il n'en reste plus guère pour l'écriture des livres. Heureusement, il est toujours possible d'en fabriquer avec ce qu’on a sous la main : des entretiens radiophoniques qu’on a soi-même conduits et pendant lesquels on ne se prive pas de prendre la parole.

Je sais, je n’aurais pas dû, je me suis laissé aller, ce n’est pas bien. Les lignes ci-dessus relèvent de la basse et petite polémique. De surcroît, elles n’auront aucun effet de réel, d’autant que, comparée à Finkielkraut, je ne pèse rien. Absolument rien. C’est sans importance. Juste s’autoriser un instant à dire qu’on n’est pas dupe.

Précision : il m'arrive d'être en accord avec Finkielkraut. Là n'est pas la question. Ce qui est en question, c'est une attitude et un mode de fonctionnement intellectuels.

 

PS ( ce qui signifie post scriptum et non parti socialiste) :
Couverture, l’autre semaine, du Nouvel Observateur : « les intellos virent-ils à droite ? » C’est agaçant cet usage de l’article défini comme si les 4 ou 5 en photos étaient la totalité de la gente intellectuelle. Rebelote avec l’émission de Serge Moatti baptisée « Les intellectuels dans la campagne ». De surcroît, dans ces deux cas, le mot intellectuel ne se décline qu’au masculin. Pas de femmes dans le panel. Remarquez, à les entendre et à les lire, je me dis qu’il n’est pas plus mal que des femmes ne figurent pas dans le tableau.
Et puis maintenant que l’une d’entre elles a le culot d’envisager d’être présidente de la République, faudrait pas exagérer en revendiquant aussi une existence sur la scène intellectuelle, surtout la médiatique.

Dans l'émission "Esprits libres", une femme participait au débat, Cynthia Fleury. Participer, c'est beaucoup dire. Plutôt figurait au débat car elle n'a pas eu souvent la parole. Michel Onfray non plus. C'est qu'avec Bernard Henri Lévy et Alain Finkielkraut sur le plateau, pas simple de se faire entendre. Nos deux compères ont de l'entrainement, de l'expérience, de la bouteille. Une trentaine années pour l'un, une vingtaine pour l'autre, de quoi connaître toutes les ficelles et être dans les medias comme un poisson dans l'eau.

Et puis, à l'approche de la soixantaine, laisser un peu d'espace à une jeune philosophe trentenaire, vous n'y songez pas!

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