La voie Royal (7 mars)

Dans le contexte de l’actuelle socièté française, c’est-à-dire une socièté qui conserve encore, malgré des progrès non négligeables, des traits et des composantes misogynes, il est évident qu’une femme désirant être élue présidente de la République par le suffrage universel – je parle d’une femme le désirant vraiment et ne faisant pas seulement une candidature de témoignage – doit faire preuve d’une habileté stratégique particulière, spécifique, précisément parce qu’elle est une femme et qu’elle l’est dans une socièté où la différence homme/femme n’est pas seulement une différence mais une inégalité.
Cette nécessité d’une stratégie spécifique, Ségolène Royal, qui a montré un culot inouï en osant se lancer dans cette candidature, l’a parfaitement et admirablement compris.

Au moins deux mots résument sa stratégie : contourner et materner.

Pour se faire désigner par le parti socialiste, pas d’autre manière que de le contourner pour s’appuyer sur l’opinion, les sondages, le médiatique. S’y serait-elle prise autrement – par le programme, le discours, l’appareil, la rigueur des analyses, la reconnaissance de capacités ou de compétences, etc. – qu’elle aurait échoué.

On voit bien, depuis qu’elle est en campagne comme candidate, non plus à la candidature mais à la présidence et à une présidence qu’il faut conquérir non par une désignation mais par le suffrage universel, que cette stratégie du contournement continue : contournement des élites (non seulement dans le fonctionnement de la campagne mais aussi dans cette manière pour le coup assez jouissive qu’a Ségolène Royal d’avoir l’air de se moquer comme de sa première chemise des jugements que les uns et les autres  peuvent porter et sur sa personne et sur ses propos), contournement des intermédiaires, des représentants, des délégués, des porte-parole, bref de toute la machinerie de la démocratie indirecte, de la démocratie représentative.

Au regard de l’objectif à atteindre, ce contournement est rendu nécessaire par l’illégitimité dans laquelle se retrouve une femme sérieusement candidate à la présidence de la République française, un peu comme en 1981, la gauche était  jugée par une partie du corps politique comme occupant illégitimement, bien que légalement, les palais nationaux. Secondairement, il l’est par la misogynie encore vive qui existe dans ce qu’il est convenu d’appeler les élites et que l’on peut constater chaque jour dans les commentaires faits sur l’allure physique de la candidate, son corps de femme donc, bien conservé n’est-ce pas malgré des quatre maternités et la cinquantaine (sous entendu la ménopause, mais là quand même on sent un peu d’hésitation dans  les commentaires, donc on le suggère dans le dire vraiment), sa manière de parler, sa voix, ses gestes, sa tenue vestimentaire, ses erreurs qui sont toujours et immédiatement qualifiées de bourdes, le soupçon puis l’accusation d’incompétence, d’incapacité à avoir de la hauteur de vue, de se situer au niveau des enjeux de la fonction présidentielle ou de représenter la France sur la scène internationale etc.

Au lieu de la machinerie de la démocratie représentative, Ségolène Royal place un dialogue direct avec le peuple, avec les « vrais gens », (même si la formule n’est pas d’elle), ce qui, dans son langage à elle, s’appelle la « démocratie participative ». Elle place aussi une alliance nouée entre elle et le peuple, affirmant d’ailleurs qu’elle « ne doit rien à personne, si ce n’est au peuple français ».

La misogynie existe aussi dans le peuple bien sûr. Mais comme l’enjeu de pouvoir que représente la présidence de la République, au fond, ne le concerne pas vraiment, ce peuple, (en effet le citoyen de base, n’en tirera, quel que soit l’élu, aucune place, aucun poste, aucune prébende, aucune satisfaction narcissique, libidinale personnelle), il peut être plus enclin que les élites à donner sa voix à une femme.

A condition que cette femme sache compenser ce que ce vote peut avoir d’inédit, voire de transgressif et donc d’inquiétant, autrement dit qu’elle rassure.

Comment une femme peut-elle être rassurante quand ce qu’elle fait est une transgression et surtout quand le geste de voter pour elle en est aussi une (ou être perçu comme tel) ? En reconduisant la figure de la mère, sous un double aspect, et en assumant délibérément cette double figure maternelle, répond Ségolène Royal.

La mère qui est attentive, qui est à l’écoute, à qui l’on peut raconter ses malheurs, qui de surcroît les prend au sérieux, même lorsqu’il ne s’agit que de petits bobos, qui console. Voilà pour la proximité avec les gens. Ne pas mépriser (en tout cas ne pas en donner l’impression) ce qu’ils disent, prendre leurs paroles, leurs questionnements, leurs avis, leurs jugements au sérieux (et ne pas les disqualifier aussitôt en les nommant opinions, comme si la démocratie n’était d’opinion que lorsque s’expriment  ceux qui sont d’ordinaire réduits au silence), ne pas considérer les difficultés de la vie quotidienne, même dans ses détails, comme une préoccupation indigne de l’intérêt d’un chef d’Etat, (qui devrait, bien sûr, on nous le répête assez, s’occuper surtout du vaste monde et de la place de la France), promettre de tout faire pour, sinon supprimer, du moins alléger, ces difficultés.

L’autre aspect de la mère, qui lui aussi rassure, c’est la capacité, quand même, à punir – et chacun le sait, bien souvent, dans les familles, c’est la mère qui punit, plus que le père, surtout au jour le jour, au quotidien, c’est la mère, bien souvent qui est, avec les enfants, plus sévère que le père – d’où les propos et propositions autour de la punition à la première incartade, l’encadrement militaire, l’ordre juste etc. D’où aussi cette tenue vestimentaire rassurante, jamais de pantalon,  jupe, robe, veste, chaussures à talons, une tenue féminine traditionnelle, convenable et convenue (Je ne connais pas Ségolène Royale et je ne fréquente pas son entourage, mais tout indique que cette tenue s’apparente un peu à un déguisement, et sans doute est-ce une regrettable faiblesse que cela se devine.)

Je prétends que Ségolène Royal a fait le choix – mais un choix contraint par son sexe, par son ambition et par l’état de la socièté française – de la seule stratégie qui lui donne une chance – non une certitude – d’atteindre son objectif.

Evidemment cette stratégie a de quoi faire grincer des dents – et les miennes ne sont pas sans grincer – du côté de la gauche, du féminisme, des tenants d’une démocratie qui doit s’efforcer de réduire autant que faire se peut la part de démagogie.

Ségolène Royal juge, comme d’autres avant elle, que Paris vaut bien une messe, par exemple comme le de Gaulle de 1958 (devoir son pouvoir aux Français d’Algérie –« je vous ai compris » –  pour ensuite en finir avec l’Algérie française) et comme le Mitterrand de 1981 ( promettre de « changer la vie », dénoncer  « l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience des hommes »). En ce sens, elle est dans la realpolitik, ce qui n’est d’ailleurs pas de mauvais augure quand on veut être chef de l’Etat.

De Gaulle mentait  pour ensuite conduire, en tout cas sous l’angle de l’affaire algérienne, une politique progressiste, tandis que le cynisme de Mitterrand aboutit à un Bernard Tapie au gouvernement et à une socièté pourrie comme jamais par le fric facile et l’arrogance de parvenus.

Si Ségolène Royal devient présidente de la République française, on verra si la stratégie qu’elle a adoptée pour être élue hypothèque ou non sa politique et sa manière d’être chef de l’Etat. Si elle ne le devient pas, sa candidature, en tant que telle, en tant qu’elle a eu lieu et comme elle a eu lieu, restera un moment de l’émancipation des femmes, même si tel n’est pas son objectif premier. Un peu comme l’audace et l’aplomb de la Brigitte Bardot des années cinquante ont contribué, même si BB s’en fichait, et même si des féministes ne la reconnaissaient pas comme une des leurs, à l’émancipation sexuelle des femmes. Mais les voies de la libération sont multiples et impénétrables !

 

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