Oui le viol est un crime et trop souvent il n’est pas considéré comme tel par la justice.
Oui trop de femmes ont peur de porter plainte parce qu’elles ont honte d’avoir été violées ou parce qu’elles pensent qu’on – la police, la justice – ne va pas les croire.
Oui la parole des femmes est trop facilement mise en doute.
Oui plusieurs réactions énoncées au moment de l’arrestation de Dominique Strauss Kahn ont été scandaleusement sexistes et misogynes.
Oui d’avoir menti sur son passé ne prouve pas que Nafissatou Diallo a menti en accusant DSK de viol.
Oui il n’est pas possible d’appeler blanchiment le fait que le procureur de New York ait estimé ne pas avoir assez de preuves pour emporter l’unanimité d’un jury.
Oui le retour de Dominique Strauss Kahn et de Anne Sinclair à Paris a pris une forme obscène
Je pense tout cela. Et pourtant je ne suis pas allée manifester place des Vosges.
Pour plusieurs raisons. D’abord à cause du texte d’appel à ce rassemblement qui conclut implicitement à la culpabilité de DSK. Pour ma part j’ignore ce qui s’est passé dans une chambre de l’hôtel Sofitel en mai dernier. L’ignorant, je ne conclue ni à la culpabilité ni à l’innocence de DSK. En outre, une chose est le jugement moral et/ou politique que je peux sur son comportement à l’égard des femmes, autre chose est la qualification de crime.
Le lieu ensuite : pas n’importe quel lieu, pas même un lieu institutionnel, symbolique d’une fonctionnement juridique, ou judiciaire ou politique… Mais place des Vosges, c’est-à-dire devant un domicile privé, celui de DSK et de sa famille. Ce n’était donc pas seulement une manifestation contre le viol, mais bel et bien une manifestation contre DSK, intuitu personae. Quel sera le prochain épisode ? Tourner en rond jour et nuit sur la place, en faisant du bruit, histoire de l’empêcher de dormir. Jeter des boules puantes dans la cour de l’immeuble ? Enfoncer la porte de son domicile ?
Et puis et surtout l’appel à « une justice féministe » lancé par un tract de la Marche mondiale des femmes. J’ignore ce qu’est une justice féministe. Et de toute façon je ne veux pas d’une « justice féministe ». Ce que je veux, c’est une justice égale pour tous, cela porte un nom, s’appelle une justice démocratique. Une justice qui respecte et la présomption d’innocence pour la personne accusée et la présomption de vérité pour la personne qui porte plainte. Une justice qui traite également les personnes, quel que soit leur sexe, quelle que soit la couleur de leur peau, quelle que soit leur position sociale.
La colère – et en colère je le suis aussi – ne doit pas conduire à n’importe quel comportement ni à n’importe quelle action.
es personnes qui ont manifesté place des Vosges n’ont-elles pas tiré les leçons de l’Histoire ? Des féministes – je tiens au DES différent du LES – vont-elles commettre les mêmes erreurs que celles commises par d’autres groupes politiques appelant, dans les années 70, en France, ou en Allemagne, ou en Italie, pour ne prendre que des exemples européens, à une justice prolétarienne ? Jusqu’où iront-elles ? Attaquer personnellement Dominique Strauss Kahn ? L’enlever ? Lui couper les couilles ? L’assassiner comme les Brigades rouges, la Fraction armée rouge, ou d’autres tenants de la dite justice prolétarienne qui n’hésitèrent pas à enlever, blesser, tuer des hommes et des femmes qu’ils jugeaient coupables, coupables personnels ou coupables d’être des symboles du système capitaliste et de l’oppression des masses populaires ?
Cette belle et juste de cause – qui est ma cause – de l’émancipation des femmes et de l’égalité des sexes mérite mieux que cela et ne peut pas, ne doit pas s’adosser à une sorte de populisme – fut-il autoproclamé féministe – qui ne vaut pas mieux que les autres.