Texte que je trouve très beau et que j’aime écrit par Cathy Bernheim en préface du festival “Sisterhood is powerful” que le centre audiovisuel Simone de Beauvoir présente au Latina (Paris) du 7 au 10 octobre
SISTERHOOD IS POWERFUL
to delphine, with love
Avant l’hommage que va lui consacrer la Cinémathèque française (du 22 septembre au 11 octobre), le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir tient à associer Delphine Seyrig à cette programmation consacrée à la lutte des femmes pour leur libération.
Voici 20 ans que Delphine est partie. S’est éteinte, comme on dit, pour autant qu’une telle lumière puisse s’éteindre. Comme une étoile morte, a dead star, elle continue de briller sur les écrans, dans les mémoires. Car au cinéma, les actrices ne meurent jamais : elles apparaissent et disparaissent au gré des modes, de la volonté des faiseurs de films et des aléas de la vie. Mais leur image ne meurt pas. Seuls meurent les supports, pellicules ou pixels qui s’effacent, dit-on, plus vite que le souvenir dans nos vies éphémères.
Au cinéma le temps n’est rien qu’une convention – ce qu’ensemble nous tenons pour vrai, réel ou simplement, nécessaire. Le temps d’un film ou de l’éternité, c’est pareil. Mais Delphine était aussi une femme entêtée. L’éternité ne lui suffisait pas : elle voulait que les femmes soient heureuses, libres et débridées dans la vraie vie. C’est pourquoi, s’emparant de la vidéo, son premier geste a été de réclamer la libération d’une prisonnière politique (Inêz, 1974). Puis elle a mis sa fantaisie au service de combats souvent jugés dérisoires par la société qui l’encensait par ailleurs (Maso et Miso vont en bateau, 1975 ou S.C.U.M. Manifesto, 1976) ou dévoilé l’envers du décor dans lequel évoluaient les actrices de son époque (Sois belle et tais-toi !, 1977). Des vidéos diffusées par le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, qu’elle a contribué à créer avec Simone de Beauvoir, Carole Roussopoulos, Ioana Wieder et quelques autres, en 1982.
DE LA FORCE DES FEMMES
Mais qu’est-ce qu’elles veulent ? Mais qu’est-ce qu’elles font, elles, les pires de toutes ? Elles dressent un toit. Elles marchent de Hendaye à Chypre et retour. Elles envoient des lettres chez elles ou ploient sous le poids de la rumeur… Mais elles ne rompent pas. « Rompez ! », ce n’est pas dans leur vocabulaire.
Ce sont des femmes en marche, en lutte, en colère, ces féministes dites de la deuxième génération qui, un peu partout à travers le monde, font exploser les stéréotypes depuis quelques décennies. Du tract au théâtre, du marteau sans faux-cils à l’art comptant pour quelque chose (par opposition à « l’art comptant pour rien » cher à tant de conservateurs), leurs outils sont divers. Mais toujours, pour les suivre, les accompagner, il y a une caméra. Et bien souvent, derrière elle, le regard d’une ou de plusieurs femme(s). C’est ce qu’il faut pour monter en intensité : des regards et des femmes. Dessus, dessous, devant, derrière (la caméra).
Et pour que le message soit puissant, il faut que les femmes aiment les femmes. Qu’elles les écoutent et qu’elles les enregistrent. Qu’elles les caressent du regard et qu’elles les filment du bout des doigts. Il faut que les femmes s’aiment. Ça y est, la rumeur enfle, des voix se font entendre de plus en plus distinctement. Entre celles qui s’exclament : « Depuis le temps qu’on vous le dit » et celles qui jamais au grand jamais n’accepteront les diktats de la masse, entre celles qui « Non merci, sans façon » et celles qui « aiment les hommes », quelle cacophonie ! Mais qui a dit qu’aimer ça se passait seulement derrière les portes closes, au fond d’un lit, dans la pén…ombre ? Dessus, dessous, mais jamais à côté ? À deux mais jamais plus ? Qui a dit qu’aimer les femmes, c‘était ne pas aimer le reste de l’humanité ? Qui a dit que la fraternité n’avait pas de féminin ?
Les films que nous vous proposons ici vous prouvent le contraire.Ils montrent que la force des femmes est d’être ensemble, de se battre ensemble, de rire ensemble. Ils affirment qu’elles peuvent partager toutes les choses de la vie sans en avoir honte. Ils démontrent que le gène du double débrayage n’existe pas : que le mot charpentier peut s’employer au féminin, que l’art des femmes parvient à faire trébucher le vieux monde macho dans ses propres voiles… Et qu’un regard peut être une arme efficace pour démolir les forteresses.
SISTERHOOD = SORORITÉ ?
En 1970 paraissait aux États Unis un recueil de textes intitulé « Sisterhood is Powerful ». Membre du groupe des New York Radical Women et co-fondatrice du W.I.T.C.H., la poétesse Robin Morgan faisait preuve d’une largesse d’esprit qui prévalut longtemps dans les mouvements des femmes de la deuxième génération, en publiant une série de contributions disparates, mais dont l’ensemble donnait une photographie assez exacte de ce qui se passait alors chez les féministes américaines.
De la charte presque réformiste du N.O.W. au S.C.U.M. Manifesto, le spectre était large, et le choix, vaste. Et le mot « sisterhood » qui couronnait cette démarche, devint emblématique de cette tolérance. Et cela d’autant facilement que la langue anglaise avait un autre mot, « sorority », pour décrire le lien entre deux soeurs. Par contre en France, le seul mot « sororité » par lequel se traduisent les deux termes, n’a jamais été vraiment revendiqué. Jusqu’à récemment où quelques intrépides ont sorti le slogan « Liberté, égalité, sororité » pour fêter l’anniversaire des 40 ans du mouvement de libération des femmes.
Cathy Bernheim