Roman Polanski, Kouchner, Mitterrand…septembre 2009

On peut juger que la récente arrestation de Roman Polanski en Suisse relève non d'un souci de justice mais d'un règlement de comptes helvético-américain qui n'a rien à voir avec Polanski. On peut demander pourquoi cette arrestation maintenant et pas plus tôt alors que Polanski va en Suisse fréquemment, y possédant une maison, nous dit-on. On peut estimer que la justice américaine fait preuve d'acharnement à son égard. Ou que même non jugée une affaire peut être prescrite et que 30 ans est une durée raisonnable. On peut aussi penser qu'après tout, puisque la victime, contre espèces sonnantes et trébuchantes, a retiré sa plainte, il conviendrait d'en rester là. Oui, on peut admettre toutes ces remarques. Admettre ne veut pas dire nécessairement les partager, juste les trouver admissibles, pouvant être prises en compte, sinon en considération.

En revanche ce qui est inadmissible, en tout cas moi je me permets de ne pas l'admettre, ce sont les arguments utilisés pour "défendre Polanski".

Comment faire ça à un homme "d'un tel talent, reconnu dans le monde entier"dit Bernard Kouchner, ministre qui de surcroît s'empresse d'écrire à son homologue américain pour lui demander que les USA renoncent à son extradition. "Affaire épouvantable", dit Frédéric Mitterrand, ministre. Confirmation de ce que l'on sait : ces deux-là, depuis longtemps, n'en ont plus que pour les célèbres, les connus, les autres, les anonymes, les sans grades, franchement, ça ne les intéresse plus.

La dite "affaire épouvantable" n'est pas ce qui est arrivé à la jeune-fille, non, c'est l'arrestation du cinéaste qui est "épouvantable". L'autre, est devenue, dans la bouche du ministre de la culture, "une affaire ancienne qui n'a pas vraiment de sens". Mais qu'en sait-il ? Et de quel "sens" parle-t-il? Evidemment, si nous pensons avec Shakespeare que la vie entière est "une histoire pleine de bruit et fureur et qui ne veut rien dire", l'affaire en question n'a en effet pas vraiment de sens puisque rien n'en a ! Mais si nous nous situons à un autre niveau que celui de l'absurdité métaphysique, il convient de regarder d'un peu plus près la dite affaire.
Qu'est-elle exactement ?  Exactement pour ma part, je n'en sais rien. Et probablement ceux qui en parlent n'en savent pas plus que moi. Etait-ce un acte sexuel avec une mineure? Etait-ce un viol sur mineure? Bon je n'ai pas enquêté ni tout lu sur l'enquête menée. Mais ce qui est intéressant c'est la manière dont ceux qui se scandalisent de l'arrestation de Polanski en parlent. "Une affaire qui n'a pas vraiment de sens", dit donc Frédéric Mitterrand". Une "affaire de moeurs", disait-on aussi alors qu'il s'agit peut-être d'un viol Elle avait peut-être 13 ans, dit en substance Costa Gavras, mais elle avait l'air d'en avoir 25". Franchement, j'attendais autre chose de l'auteur de"Z". Comme si avoir l'air, à 13 ans, d'en avoir 25 autorisait quiconque à vous sauter dessus ! Certains d'ailleurs ne mettent pas en doute qu'il y a eu viol mais c'était il y a si longtemps, et ne sont pas loin de penser qu'être violée par Polanski, au fond c'est un honneur.

Certes, trois jours après les soutiens tonitruants apportés par pas mal de vedettes cinématographiques et politiques, l'unanimité s'est lézardée. Et pourquoi, grands dieux ? Parce que sur Internet, oui vous savez cette "poubelle", eh bien, dans la "poubelle", il apparait que  c'est un autre son de cloche. Les petits, les sans grade prennent mal, les cris d'orfraie des vedettes. Pour diverses raisons : deux poids deux mesures, est-ce que le talent ou la célébrité doivent-ils tout excuser, pas un mot des ministres scandalisés au sujet d'autres arrestations ou injustices bien plus scandaleuses, un viol de mineure, quand même ce n'est pas rien etc.

Le décalage entre la scène parisienne et "les gens", les "vrais gens" comme disait je ne sais plus qui, est de plus en plus grand. Et il n'y a pas lieu de s'en réjouir.

 

Post Scriptum

J'avais écrit ces quelques lignes lorsque Alain Finkielkraut donne sur France Inter, le 9 octobre, son point de vue sur l'affaire. Il souligne : "c'est une adolescente qui posait nue", "elle avait une vie sexuelle active".

Mais de tels arguments dépassent largement "l'affaire Polanski". Ils renvoient à un certain regard sur les femmes, leur corps, leur sexualité, leur émancipation, leur liberté. On se croirait revenu au milieu des années 70. A ce moment-là, les mouvements féministes se mobilisèrent dans de nombreux pays et singulièrement en France pour lutter contre le viol, en particulier en dénonçant le fait qu'il n'était pas reconnu comme un crime et qu'il suscitait la plupart du temps une sorte d'indulgence de la part des policiers et des tribunaux, précisément parce qu'on regardait davantage du côté de la femme violée que de celui du violeur. "Elle portait une mini-jupe", "elle faisait du camping ou du stop", "elle se promenait seule en pleine nuit", …constituaient alors autant d'arguments avancés comme circonstances atténuantes en faveur du violeur. En somme la responsabilité du viol était partagée. Je croyais cette époque-là révolue. Je me trompais.

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