« On ne va quand même pas finir par émasculer tous les hommes !” déclarait récemment le député LREM Jean-Pierre Pont, dans un entretien au quotidien La voix du Nord, commentant par cette formule définitive la dénonciation mondiale du harcèlement sexuel !
En lisant cette de tels propos, je n’ai pu m’empêcher de penser à la mise en garde d’un autre homme politique, d’un bord différent, Julien Dray qui, en mars 2014, alertait dans l’Express contre « le féminisme radicalisé » en train « d’émasculer les sexes » ! Il s’agissait alors non pas des effets prétendument nocifs de « la parole des femmes qui se libère » mais de la mise en place par la ministre de l’Education nationale d’alors, Najat Vallaud Belkacem, des ABCD de l’égalité, projet qui avait pour objectif de développer à l’école l’apprentissage de l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes.
Voilà deux exemples, parmi bien d’autres, d’une rengaine qui revient décennie après décennie, je devrais même dire siècle après siècle ! En effet à chaque épisode de l’émancipation des femmes, à chaque moment de leur affirmation sur la scène politique, à chaque progrès de leurs droits, le même refrain s’entonne, celui d’une double peur : celle de l’annulation de la différence des sexes, celle de l’émasculation des hommes.
Nos ancêtres l’ont entendu juste après la Révolution française qui aurait pu dessiner une éclaircie pour les femmes : mettant fin en effet à la hiérarchie féodale, elle ouvrait aussi une possible remise en question de la hiérarchie des sexes. Possibilité vite refermée pour plusieurs raisons mais notamment par l’expression d’une double peur : l’égalité n’allait-elle pas effacer la dualité des sexes, faire disparaître l’amour, détruire le rapport sexuel ?
A la fin du XIXe siècle, moment d’affirmation féministe, le même refrain va s’étaler. On pourrait multiplier les citations d’écrivains, de politiciens, de moralistes de l’époque, qui dénoncent la « féminisation des hommes » et la « masculinisation des femmes », autant dire « la fin de l’amour » : « il est contre-nature que se mettent à exister des couples où la femme, dotée d’une profession, sera au premier plan », peut-on lire dans Le courrier français, ou encore : « la femme devient un homme puisqu’elle chasse, fume, porte le pantalon, fait du vélo, pratique qui ne peut que détraquer la femme, provoquer un désordre sexuel ». Des « femmes garçons, êtres insexuels », peut-on lire sous la plume d’Alfred de Ferry, qui dans son livre Un roman en 1915 prédit « un renversement de toutes les valeurs dont la femme émancipée est la plus ridicule mais aussi la plus menaçante des manifestations ». Ce roman publié en 1889 et qui annonçait que le monde en 1915 serait « plus laid » surtout à cause de la dissolution de la différence des sexes qu’elle implique, n’avait pas prévu qu’en effet, en 1915, le monde serait pire mais pour une autre raison !
Ce que nous entendons en ces débuts du XXIe siècle, pour s’opposer à la déconstruction des stéréotypes sexistes ou à la dénonciation des violences envers les femmes n’a donc hélas rien d’original.
Mais que dit cette idée que le refus de la domination masculine telle qu’elle s’éprouve notamment dans les violences sexuelles et sexistes aurait un effet d’émasculation ? Quel message délivre-t-elle sinon que la relation sexuelle supposerait l’inégalité ? Quelle vision donne-t-elle de la sexualité masculine sinon que celle-ci serait amputée, empêchée par l’égalité, qu’elle ne pourrait donc se déployer que dans l’inégalité et la domination ?
Les actuelles mobilisations envoient un autre message. Elles ne mettent pas, contrairement à ce que certain.e.s se complaisent à répéter, un signe égal entre la drague, le harcèlement, l’agression, le viol.
Elles disent juste que le corps des femmes n’est pas à disposition des hommes. C’est un message à la fois simple et clair. Qui n’interdit ni le jeu si précieux de la séduction, ni l’expression du désir.