Oui au féminisme, oui à l’Europe

Certes la situation de bien des Européennes est enviable comparée à celle des femmes de nombreux pays. Est-ce une raison pour la trouver satisfaisante ?

Pour une femme qui comme moi appartient à la génération MLF des années 70, les progrès accomplis sont évidents. Mais les plus jeunes, et singulièrement celles qui ont l’âge que nous avions pour la plupart à l’époque estiment que leur situation n’est pas si brillante que ça. Et pour le dire, elles se mobilisent en constituant, pour les élections européennes du 25 mai, ces listes intergénérationnelles Féministes pour une Europe solidaire, déposées dans les huit circonscriptions françaises.

Que disent-elles, ces jeunes femmes et d’autres plus âgées ? Que malgré les progrès accomplis, précarité, travail partiel, chômage, inégalités de toutes sortes et dans de nombreux domaines, violences sexuelles, sexisme quotidien…font hélas encore partie du tableau.

Et même que des acquis des décennies antérieures peuvent être menacés, sous la pression de forces régressives politiques et religieuses.

Ces constats des féministes françaises, d’autres femmes d’autres pays européens les font, par exemple les Espagnoles obligées de se mobiliser, dans le silence de l’Union européenne, contre un projet de loi visant à limiter très sévèrement le droit à l’avortement.

Les grands principes affirmés, la proclamation de l’égalité entre les femmes et les hommes, est-ce autre chose que du vent, du blabla, si  l’Union européenne accepte que soit bafoués une conquête et un droit emblématiques puisque signifiant pour les femmes le droit de décider de leur maternité et la maîtrise de leur corps sans lesquels il n’y a ni liberté, ni égalité, ni émancipation ?

Voila pourquoi j’en suis de ces listes Féministes pour une Europe solidaire. Pour un rappel à l’ordre, un rappel à l’ordre adressé à l’Europe qui fut pendant des années, au regard des droits des femmes, bien plus

progressiste que la plupart des pays qui la composent. Mais ce qu’elle fut, hélas, elle ne l’est plus.

Si j’estime ce rappel à l’ordre nécessaire, c’est aussi parce que je juge l’Europe nécessaire. Impossible en effet de penser que dans le siècle en cours, un pays européen pourra exister seul sur la scène mondiale. Ne défendent cette solitude que des idiots, des inconscients ou des malfaisants, ceux qui, de droite ou de gauche, se nourrissent des désarrois, des peurs, des crédulités. Mais tous ceux qui souhaitent que quelque chose de la France, de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Espagne, de tous les pays européens, continue à exister, à vivre, à venir du passé pour construire l’avenir, oui tous ceux-là savent bien que cet avenir ne peut qu’être européen. Cette Europe nécessaire, cette Europe indispensable ne doit pas être celle du libéralisme débridé qui profite à deux forces en apparence antagonistes et en réalité complices : l’avidité pour la rentabilité à tout prix et à court terme, les fortunes qui se bâtissent sur la destruction du monde et la mise à genoux des peuples d’un côté, de l’autre côté l’instrumentalisation politique du désarroi et de la désespérance que cette avidité engendre. Ces complices doivent être combattus. Les régressions économiques, sociales, politiques, culturelles, éthiques qu’ils génèrent pèsent sur tous et particulièrement sur les femmes, tant il reste vrai qu’elles font les frais des situations de crise, d’incertitudes, de questionnements. Cette initiative de listes féministes pour les élections européennes est inédite. Décidée tardivement, il est peu probable qu’elle débouche sur des élu-es le 25 mai au parlement européen. Mais tel n’est pas l’enjeu premier. Ce qui compte, c’est d’avoir eu cette audace de constituer des listes autonomes et de mener campagne de manière autonome, dans un féminisme qui ne se limite pas à un catalogue de revendications mais qui affirme que la question des femmes est un enjeu de civilisation et donc aussi un projet politique. Cela vaut pour l’Europe. Cela vaut pour le monde. Rien de comparable, pensera-t-on, entre la décision du gouvernement espagnol de revenir sur le droit à l’avortement et l’enlèvement barbare commis par les terroristes de Boko Haram de 276 lycéennes nigérianes. Eh bien si. Même si les formes différent, dans les deux cas, c’est la liberté de femmes qui est en cause. Et ce que nous, Européennes et Européens, devons aux jeunes filles nigérianes enlevées, séquestrées, promises au mariage forcé et peut-être à la prostitution, c’est cette affirmation de l’universalisme des droits et de l’émancipation des femmes.

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