On a voté Hollande, il a été élu, on a eu les droits des femmes plutôt que l’identité nationale, le mariage pour tous plutôt que le curé vaut mieux que l’instit, une justice qu’on laisse travailler plutôt que des procureurs aux ordres et des juges d’instruction harcelés, des médias plutôt indépendants du pouvoir politique. C’est déjà ça et ce n’est pas rien.
Pour le reste, franchement, il fallait être né ce matin, ou n’avoir aucune mémoire et aucune culture politique, ou être vraiment naïf, ou être volontairement aveugle pour croire, ne serait-ce qu’un instant, que le gouvernement « de gauche » ne comprendrait aucune brebis galeuse, qu’il n’aurait aucune accointance avec de riches amis, qu’il échapperait aux connivences de toutes sortes, qu’il mettrait toujours ses actes en harmonie avec ses paroles, qu’il serait vent debout contre la finance internationale et les paradis fiscaux, que l’affairisme lui serait absolument étranger, bref que ses membres ne seraient pas comme des poissons dans l’eau dans le monde tel qu’il est.
Les socialistes et leur parti comme incarnation de la gauche morale, allons donc, les deux septennats de François Mitterrand, avec leur face claire mais aussi leurs si fréquentes turpitudes nous ont à jamais vaccinés de ce type de croyance. Non que tous les socialistes soient des crapules, loin de là, ils sont nombreux à être honnêtes et consciencieux, mais pour changer le fonctionnement réel de la société réelle, il faut bien autre chose que des femmes et des hommes qui ne voient pas plus loin que leur élection ou leur réélection à la mairie, au conseil général, au parlement, à la présidence de la République.
Oui vaccinés, pas mal de gens comme moi l’étaient, raison pour laquelle j’ai refusé l’an dernier de signer l’un des appels en faveur de François Hollande à cause de l’adjectif « enthousiasmant » qu’il comprenait, alors que sans hésiter j’ai voté pour lui dès le premier tour, vote non d’enthousiasme mais raisonnable et de raison.
Ce qui ne m’empêche pas d’être surprise, quand même, non de la saloperie de tel ou tel, mais qu’il ait pu accéder, s’agissant de Jérôme Cahuzac, au poste de ministre, de surcroît du budget. Car enfin on nous dit maintenant que « tout le monde savait qu’il avait des casseroles » (par ce tout le monde il faut entendre les quelques centaines de personnes qui font partie de « l’élite » ou « des élites » – même terme utilisé tantôt au singulier, tantôt au pluriel) et de ce point de vue, on croit revivre l’affaire DSK où cette fois déjà celles et ceux qui ne sont pas dans le tout le monde apprenaient, parce que ça leur était répété chaque jour, les rumeurs qui couraient, les enquêtes déjà plus ou moins entamées puis abandonnées… Malgré cela, malgré ce tout le monde savait, l’un potentiel candidat socialiste à l’élection présidentielle ( et franchement on se demande encore comment ce parti socialiste a pu un seul moment penser que DSK pourrait être élu face à un Sarkozy qui, n’ignorant probablement rien de la vie dite privée de son adversaire, n’aurait pas manqué de la rendre publique durant la campagne électorale !), l’autre nommé ministre et sans doute faudrait-il savoir pourquoi François Hollande a pris ce risque.
Sans penser que la République est en danger, comme l’affirment certains – que de mots trop forts étalés ces derniers jours et qu’auraient-ils dit alors au moment par exemple du putsch d’Alger ? – je reviens à mon idée de changement du fonctionnement réel de la société réelle. Pour lui laisser une chance, il faut que le peuple, oui le peuple, s’en mêle. Et même dans ce cas, pas sûr qu’on y arrive. Et parfois d’ailleurs les changements qui naissent ne sont pas ceux qu’on pouvait souhaiter. Raison pour laquelle il faut faire attention : attention aux mots prononcés, attention aux idées simples brandies, attention aux affects mis en branle.
Jean-Luc Mélenchon n’a pas ces précautions. « Purifier » dit-il. Mais purifier qui et de quoi ? Et comment ? Par quelles méthodes ? Et jusqu’où cette purification ? Pour nous nettoyer de quelle pourriture ? Pour faire advenir quelle pureté ? Terrible la pureté. Et qui dira ce qui est la pureté et ce qui est la souillure. N’oublions pas qu’Hitler ou Pol Pot ou Milosevic étaient des tenants de la purification. La purification, on sait quand ça commence, on ne sait pas quand ça s’arrête.
La prétention de Mélenchon à incarner la « vraie gauche » ne parvient plus à masquer ce qu’il est : juste un démagogue racolant voix et soutiens à n’importe quel prix, sans se soucier des dégâts qu’il cause. En empruntant le vocabulaire de l’extrême droite, il la renforce. La « gauche de la gauche » et la gauche tout court n’ont pas besoin d’un tel « sauveur ». Les Français-es non plus.