Article paru dans l’Humanité daté du 8 mars 2018 dans le dossier Le mouvement #MeToo fait-il date dans le combat féministe?
Que se passe-t-il depuis cinq mois, à quoi assistons-nous, à quoi participons-nous ? À une dénonciation du harcèlement sexuel, des violences contre les femmes, du viol ? Oui bien sûr. Est-ce nouveau ? Non.
Dans les années MLF du siècle précédent, ces thématiques ont donné lieu à bien des écrits, des actions, des manifestations. Et, dans les décennies suivantes, elles ont continué à être à l’ordre du jour du mouvement féministe. J’ajoute qu’en ces divers moments les accusations lues et entendues depuis octobre dernier étaient déjà formulées, assénées, balancées : délation, moralisme, puritanisme, guerre des sexes et/ou annulation de leur différence, émasculation des hommes, fin de la séduction, autant de rengaines qui traversent décennies et même siècles à chaque épisode de l’émancipation des femmes, à chaque progrès de leurs droits. Et même l’accusation de racisme, entendue à l’automne dernier à propos de la dénonciation du harcèlement de rue, était aussi en vogue lors des luttes contre le viol au mitan des années 1970.
Alors qu’est-ce qui est nouveau ? Ou plutôt important, et peut-être décisif dans les diverses campagnes #Metoo ou #Balancetonporc ? Au moins deux choses.
La première, c’est qu’elles ne concernent pas que des féministes patentées, déclarées, militantes. Il s’agit d’un mouvement international et transversal. Parti d’un milieu, celui du cinéma, il en a gagné d’autres où les femmes sont nombreuses mais peu en position de pouvoir : l’opéra, le théâtre, la danse, la mode, le journalisme, la politique (toutes tendances confondues), le sport, le syndicalisme, et, au fil des semaines, des milieux et lieux d’études ou de travail fort nombreux.
Et la vague va continuer. Pourquoi ? Parce que cet enjeu du harcèlement, des violences, est vécu par toutes les femmes depuis toujours, parce que toutes, à un moment ou à un autre de leur vie, ont éprouvé cette peur, celle du viol et de l’agression sexuelle ; ou bien ont compris qu’il fallait, comme le dit la très ancienne expression populaire, « passer à la casserole », ou à tout le moins supporter des tripotages si l’on ne voulait pas être fichue à la porte. C’est donc une expérience ancestrale et partagée qui est massivement critiquée, stigmatisée, refusée, et toutes les rengaines n’y pourront rien.
Une autre raison autorise à penser qu’il s’agit d’un événement important : dans ce qui se crie et s’écrit depuis l’automne dernier, la revendication de l’égalité femme-homme ne se décline pas seulement en égalité des sexes, mais en égalité sexuelle contre l’ancestrale et universelle conception qui met le corps des femmes, le sexe des femmes à disposition des hommes, et contre cette éducation où l’on apprend aux hommes à céder à leurs désirs et aux femmes à céder sur leurs désirs.
#Metoo fait-il date dans le combat féministe, me demandez-vous ? Je ne connais pas l’avenir mais je sais que le mouvement féministe, j’entends l’émancipation des femmes dans tous les domaines, l’emporte quand il se dépasse lui-même : ce fut le cas avec la lutte pour la libéralisation de l’avortement, qui renvoyait à un vécu de bien des femmes et des hommes. Et c’est le cas avec l’énoncé de cet interdit – mon corps n’est pas à votre disposition – qui oblige à inventer de nouveaux rapports entre les femmes et les hommes.
Quand la vague est portée par des personnes qui ne sont pas des professionnel-les du militantisme, elle se déploie sur toute l’étendue de la plage. C’est bien ce qui se déroule sous nos yeux : on est passé du viol au harcèlement, du harcèlement au sexisme, du sexisme à la place des femmes, de la place des femmes à la question du et des pouvoirs : sexuels, économiques, politiques, culturels, médiatiques, idéologiques…
Bref, il ne s’agit pas d’une affaire de mœurs, ou de morale, ou de règlements de comptes. Nous sommes au cœur de la mise en œuvre de l’égalité et de la liberté, c’est-à-dire au cœur du politique.