A propos de l’identité nationale..1996.

Extrait de mon livre :  “Un chagrin politique” 1996. Où il est question d’identité nationale et d’identité française…
Etait-ce parce que j’étais moi-même fille d’immigré que j’ai vécu cette question comme une affaire personnelle? Sans doute. Encore que je fasse partie de ceux qui jugent qu’il y a des principes pour lesquels il faut se battre, même si leur mise en cause ne renvoie pas à une situation personnelle. Je n’ai jamais eu à souffrir d’avoir un père italien. Mais il est vrai qu’en entendant les propos sur les immigrés d’aujourd’hui, je ne pouvais m’empêcher de songer à ceux tenus avant-guerre à l’égard des immigrés italiens, ou aux émeutes anti-italiennes dans le sud-est de la France à la fin du siècle dernier. Ni aux réflexions entendues par ma mère lorsqu’elle épousa mon père, un « macaroni ».

Quand il fallut, après 1983, répondre à ces questions –« qu’est-ce qu’être français? », « qu’est-ce que l’identité nationale? » – je me suis aperçue que je ne me les étais jamais posées. J’étais française, non parce que mes parents avaient demandé pour moi, deux ans après ma naissance, la « qualité de française », mais parce que je parlais, je lisais, j’écrivais en français, parce que j’étais allée dans une école française, et que cette école m’avait imprégnée de siècles d’histoire, de littérature françaises. J’étais française parce qu’« à la claire fontaine », parce que Jeanne d’Arc, parce que Marat dans sa baignoire, parce que « Waterloo morne plaine », parce que « Corneille peint les hommes tels qu’ils devraient être et Racine tels qu’ils sont », parce que « ce soir je suis la plus belle pour aller danser, é, é, é »… Le sang n’y était pour rien. Et que mon père n’écrive pas le français, que ma grand-mère paternelle le parle à peine, qu’au delà des Alpes existe une autre part de moi-même, avec la passa asciutta servie à chaque repas et l’oncle Amleto chantant Rigoletto au dessert, ne me rendait pas pour autant étrangère à la France.

Ensuite, pendant mes années de militantisme, les solidarités de classe, ou d’idées, ou de sexe, l’avaient toujours emporté sur l’appartenance nationale. L’internationalisme prolétarien avait été mon horizon, puis l’internationalisme tout court; je m’étais sentie plus proche d’un jeune révolutionnaire allemand ou anglais que d’un « réac » français, puis plus proche d’une féministe italienne que d’un « macho » français.

J’avais certes, pour la France, pour sa culture, son histoire, ses paysages, ses villes et ses villages, un attachement du corps et de l’âme, né dans l’enfance, nourri au long des années, occasion de grands plaisirs et de grandes joies. Mais de ma « qualité » de française, je ne tifais ni fierté ni honte particulière. Et j’avais toujours perçu ma part italienne comme un avantage, un supplément de culture, de traditions, d’odeurs, de goûts, de manières d’être, qui avait donné une coloration particulière à ma vie.

A partir de 83, certains s’affirmèrent plus français que d’autres. Le Pen ne fut pas le seul à brandir le drapeau de la francité et de la pureté française. La droite lui emboîta le pas avec une facilité qui me stupéfia. Non seulement les hommes, mais aussi les idées devaient passer devant le tribunal de la francité. La gauche, décidément porteuse de toutes les tares, devenait l’incarnation de l’anti-France.

En janvier 85, le Front national mettait en banderole à l’un de ces meetings: « la France est de retour »; quelques mois plus tard, à l’automne 1985, le RPR lançait une campagne d’affiches avec pour seul slogan: « vivement demain, vivement la France ». Fallait-il donc comprendre que la France disparaissait quand la gauche la gouvernait? Sans doute, d’autant que Jacques Toubou, alors député RPR, avait considéré, le 10 novembre 1984, à Arras, « les idées socialistes » comme n’étant pas « des idées françaises ». Ainsi n’étaient pas françaises les idées de Saint-Simon, pas françaises les idées de Charles Péguy et d’Anatole France, pas françaises les idées de Lucien Herr et de Jean Jaurés! Fallait-il donc que les idées prouvent qu’elles n’étaient pas polluées par un sang étranger, un sang impur?

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