Propos tenus par Julie d’Aiglemont , personnage principal du roman de Balzac, La femme de trente ans:
« Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous le serions par la nature. La nature nous impose des peines physiques que vous n’avez pas adoucies, et la civilisation a développé des sentiments que vous trompez incessamment (…) Le mariage, institution sur laquelle s’appuie aujourd’hui la société, nous en fait sentir à nous seules tout le poids : pour l’homme la liberté, pour la femme des devoirs.
Nous vous devons toute notre vie, vous ne nous devez de la vôtre que de rares instants. Enfin l’homme fait un choix là où nous nous soumettons aveuglement (…) Le mariage tel qu’il se pratique aujourd’hui me semble être une prostitution légale (…)
Quels moyens ont les mères d’assurer à leurs filles que l’homme auquel elles se livrent sera un époux selon leur cœur?
Vous honnissez de pauvres créatures qui se vendent pour quelques écus à un homme qui passe : la faim et le besoin absolvent ces unions éphémères ; tandis que la société tolère, encourage l’union immédiate, bien autrement horrible, d’une jeune fille candide et d’un homme qu’elle n’a pas vu trois mois durant; elle est vendue pour toute sa vie.
Il est vrai que le prix est élevé! Si, en ne lui permettant aucune compensation à ses douleurs, vous l’honoriez; mais non, le monde calomnie les plus vertueuses d’entre nous ! Telle est notre destinée, vue sous ses deux faces : une prostitution publique et la honte, une prostitution secrète et le malheur.
Quant aux pauvres filles sans dot, elles deviennent folles, elles meurent; pour elles, aucune pitié! La beauté, les vertus ne sont pas des valeurs dans votre bazar humain, et vous nommez société ce repaire d’égoïsme ! Mais exhérédez les femmes ! au moins accomplirez-vous ainsi une loi de nature en choisissant vos campagnes, en les épousant au gré des vœux du coeur.