Des journalistes devaient-ils demander ça? 30 novembre 2016

Les cris poussés contre François Hollande lors de la sortie du livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme « Un président ne devrait pas dire ça » m’ont donné envie de lire cet ouvrage. Je venais d’en achever la lecture lorsque je suis tombée sur le papier de Philippe Caubère dans Libération, article dans lequel le comédien s’autorise à juger le livre à la fois « passionnant » et plein d’enseignement sur ce qu’est l’exercice de la présidence de la République française.

Je partage bien des remarques de l’acteur et je renvoie ci-dessous à ses pertinents commentaires.

Lecture faite, il est clair que la plupart de ceux qui ont, dès la sortie du livre, hurlé au scandale se sont contenté des phrases médiatiquement soulignées et ne sont pas allés plus loin. Il est non moins clair que Manuel Valls, parmi d’autres, a vu là une occasion de prendre publiquement ses distances avec le président de la République, occasion qu’à n’en pas douter, il cherchait depuis longtemps, mais ce n’est pas, dans le cadre de cet article, mon sujet.

On nous dit que François Hollande est puni par où il a pêché, à savoir sa passion, voire sa fascination pour les journalistes. C’est possible. Est-ce la raison pour laquelle il a accepté – ce qui est à la fois courageux, risqué et sans doute aussi irresponsable – le diktat dont les deux journalistes tirent fierté : pas de relecture finale ? Irresponsabilité ? Naïveté ? Provocation délibérée ? Je n’en sais évidemment rien et d’ailleurs je n’écris pas ce court texte en accusation ou en défense du président de la République.

Quoi qu’il en soit, ce que le dit président aurait dû à mon sens négocier, ce n’est pas tant la publication de ses propos que la manière dont ils allaient être inscrits dans la construction du livre.

Ils ne sont ainsi pas restitués de manière chronologique mais selon l’organisation en chapitres : « le pouvoir », « l’homme », « la méthode », « les autres », « les affaires », « le monde », « la France ». Ce croisement des temporalités a une fâcheuse conséquence : des remarques, des réflexions, des considérations sont lues dans un autre moment et donc un autre contexte que celui où elles ont été énoncées.

Un exemple parmi beaucoup d’autres et que je reprends puisqu’il a fait partie des phrases à charge contre François Hollande : ses propos sur les footballeurs français p.597-598. Il les juge « mal éduqués », « sans référence », « sans valeurs » « communautaristes »… Mais quand dit-il cela ? En 2012, lors du championnat d’Europe des nations, où l’équipe de France «  a un parcours peu glorieux » et après l’épisode qui l’a été encore moins de la Coupe du monde de 2010, un moment où tout le monde disait pis que pendre des footballeurs français !

Certes, Hollande est dans la com. Ils/ elles le sont tous hélas, y compris ceux qui prétendent ne pas l’être, et qui vont néanmoins s’allonger sur le divan de l’un ou s’asseoir en manches de chemise sur le canapé de l’autre. Comme sont dans la com une flopée d’intellectuels qui vilipendent les médias tout en y ayant leur place attitrée et réservée !

Je regrette pour ma part certains choix des journalistes, par exemple leur peu d’intérêt pour la politique internationale conduite pendant ces 5 années, qui occupe sans doute une grande partie de l’emploi du temps d’un chef de l’Etat et peu de place cependant dans le livre, même pas un dixième, 55 pages sur 661. Et ce n’est pas à propos de cette politique que les deux compères mettent la pression sur leur interlocuteur, utilisent des expressions telles « demandes insistantes », « revenir à la charge », ou qu’ils cherchent à le « faire lâcher prise ». Non, ces formules sont utilisées  pour traiter de la séparation d’avec Valérie Trierweiler ou de la liaison avec Julie Gayet !

Comment aussi ne pas regretter certaines curiosités, par exemple la question sur laquelle s’achève le livre : « vous teignez-vous les cheveux ?» Et regretter tout autant et même davantage que le président y réponde.

Alors qu’est-ce que ce livre ? Il est une écume des jours reconstruite, réorganisée, après enregistrement. Ce qui autorise d’ailleurs à se demander en quoi ce travail mérite le terme d’ « investigation » et même d’ « enquête » pour « traquer la vérité des faits », ainsi que l’indique la quatrième de couverture puisqu’il a d’abord consisté à mettre un micro devant le président de la République au moins une fois par mois durant 5 ans ! Et évidemment, devant un micro, ce n’est pas que des propos convenus qui s’énoncent !

Est-ce un crime de lèse président ? Je ne le crois pas, sauf à confondre stature présidentielle et statue du commandeur, langage présidentiel et langue de bois, voire de pierre.

Or en statue, Hollande en effet ne l’est pas. Certains paraissent le regretter.

Angela Merkel fait ses courses durant le week-end, et même la queue à la caisse d’un supermarché ce qui en Allemagne ne choque personne. En France beaucoup y verraient un sacrilège de la fonction !

C’est qu’ici, tout en dénonçant à répétition l’éloignement du personnel politique, tout en moquant  et à juste titre son ignorance du prix d’un ticket de métro ou d’un petit pain au chocolat, on veut un président dans un palais, avec des lambris, des meubles d’époque et des huissiers en frac.

Il peut certes boire un coup de rouge avec des journalistes et leur parler,  et/ou avoir une maîtresse, ou une deuxième famille, à condition que cela ne se sache pas, ou plutôt que cela ne soit connu que des membres du milieu politico-médiatique qui pourront s’en faire gloriole dans les dîners en ville.

Pendant 600 pages, nous ne cheminons pas avec un « président narcisse », comme certains l’ont diagnostiqué, ou se livrant à « un suicide politique », comme d’autres ont pu le détecter, mais un homme ordinaire assumant la fonction de président de la République. Et c’est cela qui est intéressant, l’intérêt pouvant bien sûr s’accompagner d’étonnements, d’agacements, de désaccords et même de stupéfactions.

J’utilise le qualificatif « ordinaire » plutôt que celui « normal » dont usait Hollande durant sa campagne de 2012, « ordinaire » au sens du Sartre de la fin des « Mots » : « un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui ».

Dans ces 600 pages de l’écume des jours, je le répète car il s’agit bien d’une quotidienneté, nous sommes au cœur des hésitations, des façons de peser le pour et le contre, d’envisager des compromis, des tentatives de concilier ce qui est souvent inconciliable. Nous côtoyons un homme qui ne pense pas de manière binaire, manichéenne, car la réalité n’est pas telle, c’est plus compliqué. Un homme qui chaque heure, chaque jour, rencontre des obstacles à surmonter, des impasses à éviter, un homme qui peut tantôt prendre la bonne décision et tantôt se tromper.

François Hollande ne nous donne pas seulement à voir et à lire « la comédie du pouvoir » pour reprendre l’expression de Françoise Giroud. Il nous plonge dans les eaux glacées de la vie élyséenne et il déshabille le roi. C’est évidemment impardonnable.

PS1 : Je ne connais pas Philippe Caubère. Son article 

PS2 : lors de la primaire de 2011 j’ai soutenu Martine Aubry et j’ai voté Hollande en 2012 sans enthousiasme. Certains aspects de ce quinquennat m’ont plu, d’autres beaucoup moins.  Mais je trouve scandaleux, choquant, injuste le procès en incompétence et en illégitimité actuellement instruit contre le président de la République, y compris dans son propre camp.

 

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