Le 8 mars 1979 et les deux jours suivants, par milliers, des Iraniennes manifestaient dans les rues de Téhéran, refusant avec énergie et courage de se plier à l’injonction qui leur était faite par l’ayatollah Khomeiny, tout juste rentré dans son pays, de porter au moins un voile devant « couvrir la tête et le cou ». En 1979, des féministes de divers pays et pas seulement occidentaux, affirmèrent une solidarité politique avec les manifestantes iraniennes, ayant alors plus de lucidité à l’égard du régime qui s’annonçait que bien des gouvernements et bien des intellectuels ou militants d’extrême gauche qui n’avaient pour seule boussole que la lutte contre « l’impérialisme américain et /ou occidental » et dont beaucoup ont regardé avec méfiance les initiatives féministes, méfiance évidemment partagée par les tenants du nouveau régime.
Je suis pour ma part arrivée à Téhéran le 19 mars 1979, jour où la féministe américaine Kate Millett en était expulsée, pour un séjour de plusieurs semaines qui m’a permis d’approcher un Iran en pleine effervescence. A bien des égards, les termes de certains débats actuels étaient là il y a quarante ans et comme aujourd’hui opposaient des femmes à d’autres femmes.
« Par la République islamique, affirmaient nombre de banderoles déployées dans les rues de Téhéran, une femme aura plus de dignité que n’importe quelle femme dans le monde ». Avis partagé par les militantes de la Société des femmes islamiques qui estimaient que le port du voile empêchait de considérer une femme comme un objet sexuel. « N’est-ce pas contre cette réduction que vous luttez aussi chez vous, vous qui êtes féministe ? » me demandaient-elles ironiquement. L’argumentation fonctionnait de manière binaire, dans un affrontement Islam/Occident, voile versus nudité des publicités, polygamie/prostitution, traditions/modernité.
Autre analyse du côté des femmes de nombreux groupes, L’éveil des femmes, l’Union nationale des femmes, Les femmes en lutte, Le syndicat révolutionnaire des femmes combattantes, le Comité pour la défense des droits des femmes qui avaient manifesté durant trois jours puis arrêté. Beaucoup s’estimaient coincées, comme elles le disaient alors, entre les fanatiques religieux et les partisans du Shah et craignaient d’être utilisées contre ce qu’elles appelaient alors « la révolution ».
Qualifiées de « vendues à l’Occident et au Satan américain », de « traitres à leur patrie », ces manifestantes qui avaient largement pris leur part dans la lutte contre le Shah ne disaient pas encore ouvertement non au nouveau régime, mais devinaient que la république islamique à venir ne leur serait pas favorable. Elles avaient raison. Elles ont été alors vaincues mais il ne faut pas oublier que la première résistance à l’islamisme a été d’abord le fait de femmes manifestant pour une liberté de femmes.
En Iran, cette résistance commencée il y a quarante ans continue, avec des femmes qui se dévoilent en public et payent de lourdes peines de prison ce geste de liberté.
La suite dans mon livre Pour un féminisme universel Ed Le seuil