A propos du livre Beaufs et barbares, le pari du nous par Houria Bouteldja
« Beaufs et barbares, le pari du nous » tel est le titre du dernier livre d’Houria Bouteldja (La fabrique). Est-ce la version new-look et décoloniale de l’archaïque « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » ? Pas vraiment.
Certes l’ex porte-parole des Indigènes de la République s’attelle à la construction d’un « bloc historique », celui qui devrait unir ces « deux sujets révolutionnaires » que sont les « beaufs » aussi appelés « petits blancs » ou « gilets jaunes » et les « barbares » aussi appelés « racisés », ou « issus de l’immigration », ou « racaille des banlieues », autant de « mots de mépris de classe et de racisme » (p.17).
A noter d’emblée que « beaufs » sont tous blancs, forcément blancs, et les « barbares » forcément « non blancs ».
Après avoir, dans les 165 premières pages de son ouvrage, dessiné un tableau apocalyptique de la domination blanche et dressé un implacable réquisitoire contre « l’Etat racial intégral » construit dans la complicité d’acteurs multiples (le capitalisme, le colonialisme, la république, la droite, la social-démocratie, le parti communiste, les syndicats, la bourgeoisie, la classe ouvrière et sans doute j’en oublie), Bouteldja estime dans les 90 pages suivantes que seul le périmètre adéquat pour la lutte du dit « bloc historique » est l’Etat nation !
Quelles sont les différentes modalités de cette lutte ? D’abord sortir de l’Union européenne, qui « déracine – oui c’est le mot utilisé – les classes populaires blanches, qui les prive de leur destin notamment par l’érosion continue de leur souveraineté et de leur pouvoir de décision » (p.221). Il faut donc quitter l’UE pour « se re-nationaliser puis se ré-enraciner » (p.222). Mais où ai-je donc déjà lu ça ? Pas besoin de chercher longtemps, tellement de textes venant tantôt de la droite et tantôt de la gauche contre l’UE qu’il serait trop long de les citer. Mais enfin avec le coup du ré-enracinement Bouteldja fait fort, très fort même, à se demander si Eric Zemmour, Michel Onfray et quelques autres ne sont pas devenus ses auteurs de chevet.
Pas qu’eux d’ailleurs. Car la description qu’elle fait de la situation des « petits blancs » n’a rien à envier à celle que l’on peut lire depuis pas mal d’années maintenant sous d’autres plumes, dans de fort nombreux articles et livres. Tout y est : l’abandon par la France (« les gilets jaunes ont été dépossédés de la mère patrie qui est leur de manière charnelle » c’est beau comme du Maurras !), l’invisibilité, l’éloignement dans la périphérie, la précarité, « l’insécurité culturelle » les « traditions bradées », l’identité menacée, le mépris que leur infligent « le grand capital » mais aussi, surtout même « les élites cosmopolites », la gauche anti-raciste, objet d’une critique féroce proche de celle conduite par Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut et Pierre-André Taguieff !
Il faut aussi ajouter, cela va de soi, le féminisme dont « l’agenda est aveugle aux contradictions du patriarcat » (p.203), à la « crise de la virilité française » (voilà qui devrait plaire à Eugénie Bastié et à Emmanuel Todd !) au « malaise masculin » (p.199) que « les petits blancs » et les « jeunes hommes des quartiers » (mais pas un mot sur les jeunes femmes des mêmes quartiers) ont en partage.
En conséquence, il est impératif de répondre « au besoin de nation et de virilité » (p.223) et « les considérer pour ce qu’ils sont : des refuges contre la terreur de la modernité » (p.224). Là c’est beau comme du Zemmour (avec Jean-Claude Michéa en embuscade). Ce double besoin, Bouteldja affirme qu’il faut le « comprendre » pour mieux le « combattre » mais sous sa plume, la compréhension vire bien vite à la reconnaissance, voire à la légitimation.
Certes le retour à la souveraineté nationale, à l’Etat nation devra être « dynamisé et dialectisé » (bien pratique la dialectique) mais même ainsi son « dépassement est un horizon relativement lointain » (p.233)
Cependant au moins deux raisons permettent d’espérer : d’une part parce que, du « Sud viendra l’Idée nouvelle » (p.244), l’Idée libératrice (pas plus de précision) ; d’autre part, quand même, parce que, qui l’eut cru, « la blanchité a une part lumineuse », soit « le drapeau bleu-blanc-rouge et la Marseillaise (p.242). Ouf ? Non. Dans son opportunisme Bouteldja doit donner quelque satisfecit à ce qu’elle désigne comme “sa prise de guerre”, la gauche mélenchonnienne!