De l’impossibilité de répondre à la question posée
1- Merci à l’Humanité de nous offrir cette tribune. D’emblée une remarque : pourquoi ne s’adresser qu’à la ministre des droits des femmes alors que c’est l’ensemble du gouvernement qui mène telle ou telle politique et que, s’agissant du sujet traité, il conviendrait d’interpeller Premier ministre et président de la République, histoire de les impliquer dans le « concret », pour reprendre l’adjectif utilisé.
2- Austérité. La question posée implique qu’il faut être contre par principe. A voir. Ainsi, d’austérité ne faudrait-il pas davantage, par exemple à l’égard des ex-présidents de la République – et l’un d’entre eux est ex depuis des décennies – qui ont de droit salaire, voiture, chauffeur, secrétaires, logement, voyages… aux frais de la si bonne fille qu’est la République. Nous pourrions multiplier les exemples à tous les étages de la dite République. Des centaines d’exemples acceptés par la droite comme par la gauche, toutes tendances confondues, socialiste, radicale, communiste, écologiste…Donc l’austérité, dans certains lieux – à statut public ou à statut privé -, seraient plutôt bienvenue.
3- Nous voilà avec l’une des questions collatérales : celle du partage des efforts, pour le dire autrement, celle des inégalités. Car même en période de crise, ou de rigueur, ou d’austérité, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne : il y a ceux et celles pour qui rien ne change ou presque et ceux et celles qui portent la plus grosse part du fardeau. Tel est le constat : le fardeau est inégalement réparti et les femmes en portent la plus grosse part. C’est au féminin – et c’est répété depuis pas mal d’années – qu’il faut décliner le chômage, les emplois précaires, le temps partiel subi, la pauvreté, l’enfermement dans les « emplois féminins », les bas salaires, les faibles retraites, le plafond de verre, l’insuffisance de la protection sociale, la monoparentalité… Sans oublier la tâche aveugle de toute la maintenance que les femmes effectuent sans partage par devoir ou amour, ou les deux à la fois tant parfois, ils se confondent. Oui on peut sans cesse brosser le tableau qui se noircit de lui-même. Mais après quoi ?
4- Suffit-il de dire yaka, faut que ? Yaka augmenter les salaires, recruter des fonctionnaires, abaisser l’âge de la retraite, accroître le montant des pensions, ne pas couper dans les dépenses publiques, maintenir la protection sociale, yaka pénaliser les entreprises qui obligent au temps partiel, sanctionner financièrement celles qui ne respectent pas les lois, ou encore ne pas se soumettre aux marchés financiers, en finir avec les diktats de Merkel, tacler l’union européenne…
5- Eh bien non, ça ne suffit pas, dès lors qu’il n’est pas indiqué comment s’y prendre. Or le « comment faire », n’est pas aisé à trouver. Bizarre qu’après les yaka, il ne soit pas appelé à la grève générale illimitée, jusqu’à ce que le capitalisme rende l’âme (au cas où il en aurait une) ; ou à la grève générale des femmes, jusqu’à ce que le patriarcat, le fratriarcat, la domination masculine (au choix) soient à terre !
6- Nous en sommes conscientes : nous ne savons pas répondre à la question posée. Cependant savoir qu’on ne sait pas, n’est-ce pas préférable à croire qu’on sait (cf. Socrate versus Platon) parce que ça oblige à commencer à réfléchir. Pour nous qui sommes des féministes de gauche, trois pistes : ne pas réduire le féminisme à un syndicalisme, à un cahier de revendications sans cesse repris, puisque c’est l’ordre social tout entier qui est construit sur les inégalités femmes-hommes.
Faire advenir une Europe des peuples et une Europe politique est une absolue nécessité : irresponsable en effet de faire croire qu’un pays européen – et donc les femmes et les hommes qui l’habitent – pourrait exister aujourd’hui, seul et souverain, sur la scène internationale. Accepter le développement du monde, que la gauche a toujours voulu. Certes la « crise » et les politiques dites de rigueur renvoient aux dérives et exactions du néolibéralisme. Mais pas seulement. A l’évidence, la vieille Europe et même la nouvelle Amérique n’ont plus le reste du monde à leurs bottes. On ne doit pas le regretter.
Martine Storti, présidente de 40 ans de mouvement et Cathy Bernheim, co-responsable du blog re-belles re-belles.over-blog.com